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clairs, l’eau qui filtre mystérieusement s’amasse dans ses cavités profondes, et sort à ses pieds, source de quelque fleuve immense, qui traverse, en s’élargissant toujours, la terre ou la société, et qui s’appelle le Nil, ou l’Iliade, le Danube, ou la Divine Comédie.

Dante, comme Homère, eut le bonheur d’arriver à une de ces époques où une société vierge cherche un génie qui formule ses premières pensées. Il apparut au seuil du monde au moment où saint Louis frappait à la porte du ciel. Derrière lui, tout était ruine ; devant lui, tout était avenir. Mais le présent n’avait encore que des espérances.

L’Angleterre, envahie depuis deux siècles par les Normands, opérait sa transformation politique. Depuis longtemps il n’y avait plus de combats réels entre les vainqueurs et les vaincus ; mais il y avait toujours lutte sourde entre les intérêts du peuple conquis et ceux du peuple conquérant. Dans cette période de deux siècles, tout ce que l’Angleterre avait eu de grands hommes était né une épée à la main, et si quelque vieux barde portait encore une harpe pendue à son épaule, ce n’était qu’à l’abri des châteaux saxons, dans un langage inconnu aux vainqueurs, et presque oublié des vaincus, qu’il osait célébrer les bienfaits du bon roi Alfred, ou les exploits de Harold, fils de Godwin. C’est que, des relations forcées qui s’étaient établies entre les indigènes et les étrangers, il commençait à naître une langue nouvelle, qui n’était encore ni le normand ni le saxon, mais un composé informe et bâtard de tous deux, que cent quatre-vingts ans plus tard seulement, Thomas Morus, Steel et Spenser devaient régulariser pour Shakespeare.

L’Espagne, fille de la Phénicie, sœur de Carthage, esclave de Home, conquise par les Goths, livrée aux Arabes par le comte Julien, annexée au trône de Damas par Tarik, puis séparée du kalifat d’Orient par Abdalrahman, de la tribu des Omniades, l’Espagne, mahométane du détroit de Gibraltar aux Pyrénées, avait hérité de la civilisation transportée par Constantin de Rome à Bysance. Le phare, éteint d’un côté de la Méditerranée, s’était rallumé de l’autre ; et tandis que s’écroulaient sur la rive gauche le Parthénon et le Colisée, on voyait s’élever sur la rive droite Cordoue, avec ses