Page:Dumas - Une Année à Florence.djvu/186

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’ils faisaient à leur fille du droit de choisir un cavalier servant.

Puisque voilà le mot lâché, il faut bien parler un peu du cavalier servant ; d’ailleurs, si je n’en disais rien, on croirait peut-être qu’il y a trop à en dire.

Dans les grandes familles où les alliances, au lieu d’être des mariages d’amour, sont presque toujours des unions de convenances, il arrive, après un temps plus ou moins long, un moment de lassitude et d’ennui où le besoin d’un tiers se fait sentir : le mari est maussade et brutal, la femme est revêche et boudeuse ; les deux époux ne se parlent plus que pour échanger des récriminations mutuelles ; ils sont sur le point de se détester.

C’est alors qu’un ami se présente. La femme lui narre ses douleurs ; le mari lui conte ses ennuis ; chacun rejette sur lui une part de ses chagrins, et se sent soulagé de cette part dont il vient de charger un tiers ; il y a déjà amélioration dans l’état des parties.

Bientôt le mari s’aperçoit que son grand grief contre sa femme était l’obligation contractée tacitement par lui de la mener partout avec lui ; la femme, de son côté, commence à s’apercevoir que la société où la conduit son mari ne lui est insupportable que parce qu’elle est forcée d’y aller avec lui. Quand on en est là de chaque côté, on est bien près de se comprendre.

C’est alors que le rôle de l’ami se dessine : il se sacrifie pour tous deux ; le dévoûment est sa vertu. Grâce à son dévoûment, le mari peut aller où il veut sans sa femme. Grâce à son dévoûment, la femme reste chez elle sans trop d’ennui ; le mari revient en souriant et trouve sa femme souriante. À qui l’un et l’autre doivent-ils ce changement d’humeur ? à l’ami ; mais l’ami réduit à ce rôle pourrait bien s’en lasser, et on retomberait dans la position première, position reconnue parfaitement intolérable. Le mari a de vieux droits dont il ne se soucie plus et dont il ne sait que faire ; il ne veut pas les donner, mais un à un il se les laisse prendre. À mesure que l’ami se substitue à lui, il se sent plus à son aise dans sa maison ; l’ami devient cavalier servant en titre,