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La brise obéissant à ton joyeux appel,
Je ne sais trop pourquoi de tristes rêveries
Fanent aux mêmes bords mes visions fleuries.
Je ne songe qu’aux jours où le deuil en passant
A coloré ces flots d’une teinte de sang,
où la peste, vingt fois de l’orient venue,
A frappé cette ville agonisante et nue ;
où les temples sacrés du rivage voisin,
Meurtris du fer de Rome ou du fer sarrasin,
Se sont évanouis comme la vapeur grise
Que ma bouche aspirante abandonne à la brise.

Pèlerin, sur la mer, en détournant les yeux,
Ici, tu ne peux voir ce qu’ont vu mes aïeux :
Cette île de maisons, près de la tour placée,
Oh ! non, non, ce n’est point la fille de Phocée ;
Elle est bien morte, et Peigne a tissé son linceul.
Son cadavre est visible aux regards de Dieu seul.
Peut-être sous les flots elle dort tout entière,
Et ce golfe riant lui sert de cimetière.
Hélas ! sur nos remparts trois mille ans ont pesé,
Le roc des Phocéens lui-même s’est usé ;
Et chaque jour encor la vague déracine
Cette église qui fut le temple de Lucine,
Cette haute esplanade où tant de travaux lents
Avaient amoncelé les péristyles blancs,
Divine architecture, en naissant expirée,
Comme sa sœur qui dort dans les flots du Pyrée
Et qui du moins en Grèce, aux murs du Parthénon,
En s’éteignant laissa les lettres de son nom !…

Il ne nous reste rien, à nous ; rien ne surnage
De notre vie antique, et rien du moyen-âge.
Une tour, qu’épargnait notre peuple rongeur,
Aurait pu t’arrêter un instant, voyageur !
Moi je l’ai vue enfant : noble tour ! elle seule
A chaque Marseillais rappelait son aïeule.
Un jour d’assaut, un jour d’héroïque vertu,
Nos mères, à son ombre, avaient bien combattu !