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On reste là jusqu’à huit heures. À huit heures, un léger brouillard s’élève au fond du pré. Ce brouillard, c’est la source de tout mal ; il renferme la goutte, les rhumatismes, la cécité ; sans ce brouillard, les Florentins seraient immortels. C’est ainsi qu’ils ont été punis, eux, du péché de notre premier père : aussi, à la vue de ce brouillard, chaque groupe se disperse, chaque colloque s’interrompt, chaque voiture détale, il ne reste que les trois ou quatre calèches d’étrangers, qui, n’étant pas du pays, ne connaissent pas ce formidable brouillard, ou qui le connaissant n’en ont pas peur.

À neuf heures, les retardataires quittent le Piazzonne et reviennent à leur tour vers la ville. À la porte del Prato, ils trouvent un second cercle : le brouillard ne vient pas jusque là. De la porte del Prato on le brave, on le nargue ; la chaleur que le soleil a communiquée aux pierres des remparts, et qu’elle conserve une partie de la nuit, le repousse. On reste là jusqu’à dix heures et demie ; seulement à dix heures les gens économes quittent la partie : à dix heures, la herse se baisse, et il faut donner dix sous pour la faire lever.

À onze heures, presque toujours les Florentins sont rentrés chez eux, à moins qu’il n’y ait fête chez la comtesse Nencini. Les étrangers seuls restent à courir la ville au clair de lune, jusqu’à deux heures du matin.

Mais s’il y a fête chez la comtesse Nencini, tout le monde s’y porte.

La comtesse Nencini a été une des plus belles femmes de Florence, et en est restée une des plus spirituelles : c’est une Pandolfini, c’est-à-dire une des plus grandes dames de la Toscane. Le pape Jules II a fait don à un de ses aïeux d’un charmant palais bâti par Raphaël. C’est dans ce palais qu’elle habite, et dans le jardin attenant qu’elle donne ses fêtes ; elles ont lieu les quatre dimanches de juillet. Chacun sait cela, chacun les attend, chacun s’y prépare ; si bien que, bon gré mal gré, elle est forcée de les donner ; il y aurait émeute si elle ne les donnait pas.

C’est qu’aussi ces quatre fêtes de nuit sont bien les plus charmantes fêtes qui se puissent voir. Qu’on se figure un délicieux palais, ni trop grand ni trop petit, comme chacun voudrait en avoir un, qu’on soit prince ou artiste, meublé