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La première chose qui frappe, quand on visite cette ancienne reine du commerce, est l’absence de cet esprit commercial qui a fait d’elle une des républiques les plus riches et les plus puissantes de la terre. On cherche, sans la pouvoir trouver, cette classe intermédiaire et industrielle qui peuple les rez-de-chaussées et les trottoirs des rues de Paris et de Londres. À Florence, il n’y a que trois classes visibles : l’aristocratie, les étrangers et le peuple. Or, au premier coup d’œil, il est presque impossible de deviner comment et de quoi vit ce peuple. En effet, à part deux ou trois maisons princières, l’aristocratie dépense peu et le peuple ne travaille pas : c’est qu’à Florence l’hiver défraie l’été. À l’automne, vers l’époque où apparaissent les oiseaux de passage, des volées d’étrangers, Anglais, Russes et Français s’abattent sur Florence. Florence connaît cette époque ; elle ouvre les portes de ses hôtels et de ses maisons garnies, elle y fait entrer pêle-mêle, Français, Russes et Anglais, et jusqu’au printemps elle les plume.

Ce que je dis est à la lettre, et le calcul est facile à faire. Du mois de novembre au mois de mars, Florence compte un surcroît de population de dix mille personnes ; or, que chacune de ces dix mille personnes dépense, toutes les 24 heures, trois piastres seulement, je cote au plus bas, trente mille piastres s’écoulent quotidiennement par la ville. Cela fait quelque chose comme cent quatre-vingt mille francs par jour ; soixante mille personnes vivent là dessus.

Aussi, c’est encore en ceci qu’éclate l’extrême sollicitude du grand-duc pour son peuple. Il a compris que l’étranger était une source de fortune pour Florence, et tout étranger est le bien venu à Florence : l’Anglais avec sa morgue, le Français avec son indiscrétion, le Russe avec sa réserve. Le premier janvier arrivé, le palais Pitti, ouvert tous les jours aux étrangers, à la curiosité desquels il offre sa magnifique galerie, s’ouvre encore une fois par semaine, le soir, pour leur donner des bals splendides. Là, tout homme que son ambassadeur juge digne de l’hospitalité souveraine est présenté, et noble ou commerçant, industriel ou artiste, est reçu avec ce bienveillant sourire qui forme le caractère particulier de la physionomie pensive du grand-duc. Une fois