Page:Dumas - Une Année à Florence.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas une plainte ne s’échappa de son cœur, seulement il serra Arnolfo contre sa poitrine.

Mais Farinata, les émigrés fiorentins et les cavaliers allemands s’étaient réunis, et tandis que toute l’armée siennoise chargeait de son côté infanterie contre infanterie, ils se préparèrent à charger du leur.

La dernière attaque fut terrible : trois mille hommes à cheval et couverts de fer s’enfoncèrent au milieu de dix ou douze mille fantassins qui restaient encore autour du Carroccio : ils entrèrent dans cette masse, la sillonnant tel qu’un immense serpent, dont l’épée de Farinata était le dard. Le vieillard vit le monstre s’avancer en roulant ses anneaux gigantesques ; il fit signe à ses deux fils. Ils s’élancèrent au-devant de l’ennemi avec toute la réserve. Arnolfo pleurait de honte de ne pas suivre ses frères.

Le vieillard les vit tomber l’un après l’autre ; alors il remit la corde de la cloche aux mains d’Arnolfo, et sauta au bas de la plate-forme. Le pauvre père n’avait pas en le courage de voir mourir son septième enfant.

Farinata passa sur le corps du père comme il avait passé sur le corps des fils. Le Carroccio fut pris, et comme Arnolfo continuait de sonner Martinella, malgré les injonctions contraires qu’il recevait, Della Presa monta sur la plate-forme, et lui brisa la tête d’un coup de masse d’armes.

Du moment où les Florentins n’entendirent plus la voix de Martinella, ils n’essayèrent même plus de se rallier. Chacun s’enfuit de son côté ; quelques-uns se réfugièrent dans le château de Monte Aperto, où ils furent pris le lendemain. Dix mille hommes restèrent, dit-on, sur la place du combat.

La perte de la bataille de Monte Aperto est restée pour Florence un de ces grands désastres dont le souvenir se perpétue à travers les âges. Après cinq siècles et demi, le Florentin montre encore avec tristesse aux voyageurs le lieu du combat, et cherche dans les eaux de l’Arbia cette teinte rougeâtre que leur avait donnée le sang de ses ancêtres. De leur côté les Siennois s’enorgueillissent encore aujourd’hui de leur victoire. Les antennes du Caroccio qui vit tomber tant d’hommes autour de lui dans cette fatale journée, sont