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d’étrange dans sa grande manche ; il y fourra la main, et en tira un gros garçon.

— Mon frère, dit le cardinal, me voici plus tranquille, et je suis sûr du moins que ma belle-sœur ne mourra point en couches.

Le moine comprit que le mieux était d’éviter le scandale ; il demanda au cardinal ce qu’il devait faire. Le cardinal lui dit d’entrer dans la chambre de la grande-duchesse, et de lui dire, tout en la confessant, ce qui venait d’arriver : selon qu’elle ferait, le cardinal devait faire. Le silence amènerait le silence, et le bruit amènerait le bruit. La grande-duchesse vit que, pour cette fois, il lui fallait renoncer à donner un héritier à la couronne, et elle prit le parti de faire une fausse couche. Le cardinal, de son côté, tint parole, et ne révéla rien de cette tentative avortée.

Il en résulta que rien ne troubla la bonne harmonie qui régnait entre les deux frères. L’automne suivant, le cardinal fut même invité par François à venir passer les deux mois de villegiatura à Poggia à Cajano. Il accepta, car il était grand amateur de chasse, et le château de Poggio à Cajano était une des réserves les plus giboyeuses du grand-duc François.

Le jour même de l’arrivée du cardinal, Bianca, qui savait que le cardinal aimait les tourtes confectionnées d’une certaine façon, voulut en préparer une elle-même. Le cardinal apprit par le grand-duc Francesco cette attention de sa belle sœur, et comme il n’avait pas une confiance bien profonde dans sa réconciliation avec elle, cette gracieuseté de sa part ne laissa pas de l’inquiéter. Heureusement le cardinal possédait une opale qui lui avait été donnée par le pape Sixte-Quint, et dont la propriété était de se ternir quand on l’approchait d’une substance empoisonnée. Le cardinal ne manqua point d’en faire l’épreuve sur la tourte préparée par Bianca. Ce qu’il avait prévu arriva. En approchant de la tourte, l’opale se ternit, et le cardinal déclara que toute réflexion faite, il ne mangerait pas de tourte. Le duc insista un instant. Voyant que ses instances étaient inutiles : — Eh bien ! dit-il en se retournant vers sa femme, puisque mon frère ne mange pas de son plat favori, j’en mangerai, moi, afin qu’il ne