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La pauvre Jeanne d’Autriche, de son côté, n’était pas heureuse : elle était grande-duchesse de nom, mais Bianca Capello l’était de fait. Pour les emplois, pour les grâces, pour les faveurs, c’était à la Vénitienne qu’on s’adressait. La Vénitienne était toute puissante ; elle avait des pages, une cour, des flatteurs : les pauvres seuls allaient à la grande-duchesse Jeanne. Or, Jeanne était une femme pieuse et sévère comme le sont ordinairement les princesses de la maison d’Autriche ; elle offrit religieusement ses chagrins à Dieu, Dieu abaissa les yeux vers elle, vit ce qu’elle souffrait, et la retira de ce monde.

On attribue cette mort à ce que, le frère de la Bianca étant venu à Florence, Francesco lui fit si grande fête qu’il n’eût pas fait davantage pour un roi régnant, ce qui, selon le peuple, causa tant de peine à la malheureuse Jeanne, que sa grossesse tourna à mal ; si bien qu’au lieu d’un second fils que Florence comptait accompagner joyeusement au baptistère, il n’y eut que deux cadavres qu’elle conduisit tristement au tombeau.

Le grand-duc Francesco n’était point méchant ; il était faible, voilà tout. Cette sourde et lente douleur qui minait sa femme lui causait de temps en temps des tristesses qui ressemblaient à des remords. Au moment de mourir, Jeanne essaya de tirer parti de ce sentiment ; elle fit venir à son chevet le grand-duc, qui, depuis qu’elle était tombée malade, s’était montré excellent pour elle. Sans lui faire de reproches sur ses amours passées, elle le supplia de vivre plus religieusement à l’avenir. Francesco, tout en baignant ses mains de larmes, lui promit de ne point revoir Bianca. Jeanne sourit tristement, secoua la tête d’un air de doute, murmura une prière dans laquelle le grand-duc entendit plusieurs fois revenir son nom, et mourut.

Elle laissait de son mariage trois filles et un fils.

Pendant quatre mois Francesco tint parole ; pendant quatre mois Bianca fut non pas exilée, mais du moins éloignée de Florence. Mais Bianca connaissait sa puissance ; elle laissa le temps passer sur la douleur, sur les remords et sur le serment du grand-duc ; puis, un jour, elle se