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seule plainte sur sa misère. Sa seule distraction était de regarder dans la rue en soulevant doucement sa jalousie ; mais on ne lui entendait pas même envier, à elle, pauvre prisonnière, la liberté de ceux qui passaient ainsi, joyeux ou attristés.

Parmi ceux qui passaient, était le jeune grand-duc, qui, de deux jours l’un allait voir son père à son château de la Petraja. C’était ordinairement à cheval que Francesco faisait ce petit voyage ; puis, comme il était jeune, galant et beau cavalier, chaque fois qu’il passait sur quelque place où il pensait pouvoir être vu par de beaux yeux, il faisait fort caracoler sa monture. Mais ce n’était ni sa jeunesse, ni sa beauté, ni son élégance, qui préoccupaient Bianca lorsqu’elle le voyait passer : c’était l’idée que ce gentil prince, aussi puissant qu’il était gracieux, n’avait qu’à dire un mot pour que le ban fût levé et pour que Bonaventuri fût libre et heureux. À cette idée, les yeux de la jeune vénitienne lançaient une flamme qui en doublait l’éclat. Tous les deux jours, à l’heure où elle savait que devait passer le prince, elle ne manquait donc point de se mettre à sa fenêtre et de soulever sa jalousie. Un jour, le prince leva les yeux par hasard et vit briller, dans l’ombre projetée par la jalousie, les yeux ardens de la jeune fille. Bianca se retira vivement, si vivement qu’elle laissa tomber un bouquet qu’elle tenait à la main. Le prince descendit de cheval, ramassa le bouquet, s’arrêta un instant pour voir si la belle vision n’apparaîtrait pas de nouveau ; puis, voyant que la jalousie restait baissée, il mit le bouquet dans son pourpoint, et continua sa route au pas, en tournant la tête deux ou trois fois avant de disparaître.

Le surlendemain, il repassa à la même heure ; mais, quoique Bianca fût toute tremblante derrière la jalousie, la jalousie resta fermée, et pas la plus petite fleur ne se glissa à travers ses barreaux.

Deux jours après, le prince passa encore ; mais la jalousie fut inexorable, quelque prière intérieure que le prince lui adressât.

Alors il pensa qu’il devait prendre un autre moyen. Il rentra chez lui, fit venir un gentilhomme espagnol nommé Mon-