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savez pas d’où : ils sautent de la jetée, ils s’élancent des barques voisines, ils se laissent glisser des cordages des bâtimens. Comme vous voyez que votre canot va chavirer sous le poids, vous pensez à votre propre sûreté, vous vous cramponnez au môle, comme Robinson à son rocher ; puis, après bien des efforts, votre chapeau perdu, vos genoux en sang et vos ongles retournés, vous arrivez sur la jetée. Bien, voilà pour vous : quant à votre bagage, il est déjà divisé en autant de lots qu’il y a de pièces : vous avez un portefaix pour votre malle, un portefaix pour votre nécessaire, un portefaix pour votre carton à chapeau, un portefaix pour votre parapluie, et un portefaix pour votre canne ; si vous êtes deux, cela vous fait dix portefaix ; si vous êtes trois, cela en fait quinze. Comme nous étions quatre, nous en eûmes vingt ; un vingt-unième voulut prendre Mylord. Mylord, qui n’entend pas raillerie, lui prit le mollet : il fallut lui mordre la queue pour qu’il desserrât les dents. Le portefaix nous suivit en criant que notre chien l’avait estropié, et qu’il nous ferait condamner à une amende. Le peuple s’ameuta, et nous arrivâmes à la pension suisse avec vingt portefaix devant nous et deux cents personnes par derrière.

Il nous en coûta quarante francs pour quatre malles, trois ou quatre cartons à chapeau, deux ou trois nécessaires, un ou deux parapluies et une canne ; plus, dix francs pour le portefaix mordu, c’est-à-dire cinquante francs pour faire cinquante pas à peu près, juste autant (thé à part) qu’il nous en avait coûté pour venir de Gênes.

Je suis retourné trois fois à Livourne ; les deux dernières, j’étais prévenu, j’avais pris mes précautions, je me tenais sur mes gardes ; chaque fois, j’ai payé plus cher. En arrivant à Livourne, il faut faire, comme en traversant les marais Pontins, la part des voleurs. La différence est qu’en traversant les marais Pontins, on en réchappe quelquefois, souvent même ; à Livourne, jamais.

Ce ne serait encore rien si, en arrivant à Livourne, au lieu de descendre dans une de ces infâmes tavernes qui usurpent le nom respectable d’auberge, on faisait venir un voiturin, on montait dedans, et, n’importe à quel prix, on par-