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surtout faisaient l’étonnement de leurs camarades ; ils voyageaient ensemble, côte à côte, l’œil sombre et la tête baissée. Athos relevait seul de temps en temps son large front, un éclair brillait dans ses yeux, un sourire amer passait sur ses lèvres, puis, pareil à ses camarades, il se laissait de nouveau aller à ses rêveries.

Un jour que le roi avait fait halte sur la route pour voler la pie et que les quatre amis, selon leur habitude, au lieu de suivre la chasse, s’étaient arrêtés dans un cabaret sur la grand’route, un homme qui venait de La Rochelle à franc étrier, s’arrêta à la porte pour boire un verre de vin, et plongea son regard dans l’intérieur de la chambre où étaient attablés les quatre mousquetaires.

— Holà ! M. d’Artagnan, dit-il, n’est-ce point vous que je vois là-bas ?

D’Artagnan leva la tête et poussa un cri de joie. Cet homme qu’il appelait son fantôme, c’était son inconnu de Meung, de la rue des Fossoyeurs et d’Arras.

D’Artagnan tira son épée et s’élança vers la porte.

Mais cette fois, au lieu de fuir, l’inconnu s’élança à bas de son cheval et s’avança à la rencontre de d’Artagnan.

— Ah ! monsieur, dit le jeune homme, je vous rejoins donc enfin. Cette fois, vous ne m’échapperez pas.

— Ce n’est pas mon intention non plus, monsieur, car cette fois je vous cherchais. Au nom du roi, je vous arrête.

— Comment ! que dites-vous ? s’écria d’Artagnan.

— Je dis que vous ayez à me rendre votre épée, monsieur, et cela sans résistance. Il y va de la tête, je vous en avertis.

— Qui êtes-vous donc ? demanda d’Artagnan en baissant son épée, mais sans la rendre encore.

— Je suis le chevalier de Rochefort, répondit l’inconnu, l’écuyer de M. le cardinal de Richelieu, et j’ai ordre de vous ramener à Son Éminence.

— Nous retournons auprès de Son Éminence, M. le chevalier, dit Athos en s’avançant, et vous accepterez bien la parole de M. d’Artagnan, qu’il va se rendre en droite ligne à La Rochelle.

— Je dois le remettre entre les mains des gardes qui le ramèneront au camp.

— Nous lui en servirons, monsieur, sur notre parole de gentilshommes ! Mais sur notre parole de gentilshommes aussi, ajouta Athos en fronçant le sourcil, M. d’Artagnan ne nous quittera pas.

Le chevalier de Rochefort jeta un coup d’œil en arrière et vit que Porthos et Aramis s’étaient placés entre lui et la porte ; il comprit qu’il était complètement à la merci de ces quatre hommes.

— Messieurs, dit-il, si M. d’Artagnan veut me rendre son épée et joindre sa parole à la vôtre, je me contenterai de votre promesse de conduire M. d’Artagnan au quartier de monseigneur le cardinal.

— Vous avez ma parole, monsieur, dit d’Artagnan, et voici mon épée.

— Cela me va d’autant mieux, ajouta Rochefort, qu’il faut que je continue mon voyage.

— Si c’est pour rejoindre milady, dit froidement Athos, c’est inutile, vous ne la retrouverez pas.