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— Non, c’est vrai ; mais elle, c’est autre chose, je la crois retenue en France par quelque amour.

— Alors, dit milady avec un soupir, si elle aime, elle n’est pas tout à fait malheureuse.

— Ainsi, dit l’abbesse en regardant milady avec un intérêt croissant, c’est encore une pauvre persécutée que je vois ?

— Hélas ! oui, dit milady.

L’abbesse regarda un instant milady avec inquiétude, comme si une nouvelle pensée surgissait dans son esprit.

— Vous n’êtes pas ennemie de notre sainte foi ? dit-elle en balbutiant.

— Moi ! s’écria milady, moi, protestante ? Oh ! non, j’atteste le Dieu qui nous entend que je suis au contraire fervente catholique.

— Alors, madame, dit l’abbesse en souriant, rassurez-vous, la maison où vous êtes ne vous sera pas une prison bien dure, et nous ferons tout ce qu’il faudra pour vous faire chérir la captivité. Il y a plus, vous trouverez ici cette jeune femme persécutée sans doute par suite de quelque intrigue de cour ; elle est aimable, gracieuse ; elle vous plaira.

— Comment la nommez-vous ?

— Elle m’a été recommandée par quelqu’un de très haut placé sous le nom de Ketty. Je n’ai pas cherché à savoir son autre nom.

— Ketty ! s’écria milady ; quoi, vous êtes sûre ?

— Qu’elle se fait appeler ainsi ? Oui, madame. La connaîtriez-vous ?

Milady sourit à elle-même et à l’idée qui lui était venue que cette jeune femme pouvait être son ancienne camérière. Il se mêlait au souvenir de cette jeune fille un souvenir de colère, et un désir de vengeance avait bouleversé les traits de milady, qui reprirent au reste presque aussitôt l’expression calme et bienveillante que cette femme aux cent visages leur avait momentanément imprimée.

— Et quand pourrai-je voir cette jeune dame, pour laquelle je me sens déjà une si grande sympathie ? demanda milady.

— Ce soir, dit l’abbesse, dans la journée même. Mais vous voyagez depuis quatre jours, m’avez-vous dit ; vous-même, ce matin, vous vous êtes levée à cinq heures, vous devez avoir besoin de repos ; Couchez-vous et dormez ; à l’heure du dîner nous vous réveillerons.

Quoique milady eût très bien pu se passer de sommeil, soutenue qu’elle était par toutes les excitations qu’une aventure nouvelle faisait éprouver à son cœur avide d’intrigues, elle n’en accepta pas moins l’offre de la supérieure. Depuis douze ou quinze jours elle avait passé par tant d’émotions diverses, que si son corps de fer pouvait encore soutenir la fatigue, son âme avait besoin de repos.

Elle prit donc congé de l’abbesse et se coucha doucement, bercée par les idées de vengeance, auxquelles l’avait tout naturellement ramenée le nom de Ketty. Elle se rappelait cette promesse presque illimitée que lui avait faite le cardinal, si elle réussissait dans son entreprise. Elle avait réussi ; elle pourrait donc se venger de d’Artagnan.

Une seule chose épouvantait milady, c’était le souvenir de son mari, le comte de La Fère, qu’elle avait cru mort ou du moins expatrié, et qu’elle retrouvait dans Athos, le meilleur ami de d’Artagnan.