Page:Dumas - Les Trois Mousquetaires - 1849.pdf/465

Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’un rêve horrible dans lequel mes forces se seraient épuisées ; mais tout cela était si sombre et si indistinct dans ma pensée, que ces événements semblaient appartenir à une autre vie que la mienne, et pourtant mêlée à la mienne par une fantastique dualité.

« Quelque temps, l’état dans lequel je me trouvais me sembla si étrange, que je crus que je faisais un rêve. Je me levai chancelante ; mes habits étaient près de moi, sur une chaise ; je ne me rappelai ni m’être dévêtue, ni m’être couchée. Alors, peu à peu, la réalité se présenta à moi pleine de terreur ; je n’étais plus dans la maison que j’habitais ; autant que j’en pouvais juger par la lumière du soleil, le jour était déjà aux deux tiers écoulé ; c’était la veille au soir que je m’étais endormie ; mon sommeil avait donc déjà duré près de vingt-quatre heures. Que s’était-il passé pendant ce long sommeil ?

« Je m’habillai aussi rapidement qu’il me fut possible. Tous mes mouvements lents et engourdis attestaient que l’influence du narcotique n’était point encore entièrement dissipée. Au reste cette chambre était meublée pour recevoir une femme, et la coquette la plus achevée n’eût pas eu un souhait à former qu’en promenant son regard autour de l’appartement elle n’eût vu son souhait accompli.

« Certes, je n’étais pas la première captive qui s’était vue enfermée dans cette splendide prison ; mais, vous le comprenez, Felton, plus la prison était belle, plus je m’épouvantais.

« Oui, c’était une prison, car j’essayai vainement d’en sortir ; je sondai tous les murs afin de découvrir une porte ; partout les murs rendirent un son plein et mat.

« Je fis peut-être vingt fois le tour de cette chambre, cherchant une issue quelconque ; il n’y en avait pas : je tombai écrasée de fatigue et de terreur sur un fauteuil.

« Pendant ce temps la nuit venait rapidement, et avec la nuit mes terreurs augmentaient ; je ne savais si je devais rester où j’étais assise, il me semblait que j’étais entourée de dangers inconnus dans lesquels j’allais tomber à chaque pas. Quoique je n’eusse rien mangé depuis la veille, mes craintes m’empêchaient de ressentir la faim.

« Aucun bruit du dehors qui me permît de mesurer le temps ne venait jusqu’à moi ; je présumai seulement qu’il pouvait être sept ou huit heures du soir, car nous étions au mois d’octobre et il faisait nuit entière.

« Tout à coup le cri d’une porte qui tourne sur ses gonds me fit tressaillir ; un globe de feu apparut au-dessus de l’ouverture vitrée du plafond, jetant une vive lumière dans ma chambre, et je m’aperçus avec terreur qu’un homme était debout à quelques pas de moi.

« Une table à deux couverts supportant un souper tout préparé s’était dressée comme par magie au milieu de l’appartement.

« Cet homme était celui qui me poursuivait depuis un an, qui avait juré mon déshonneur, et qui, aux premiers mots qui sortirent de sa bouche, me fit comprendre que sa détermination ne me laissait aucun espoir d’être rendue à la liberté. »

— L’infâme ! murmura Felton.

— Oh ! oui, l’infâme ! s’écria milady, voyant l’intérêt que le jeune officier, dont l’âme semblait suspendue à ses lèvres, prenait à cet étrange récit, oh ! oui,