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quer sur-le-champ, et elle savait aussi que les femmes condamnées à la déportation usent d’armes bien moins puissantes dans leurs séductions que les prétendues femmes vertueuses dont le soleil du monde éclaire la beauté, dont la voix de la mode vante l’esprit et qu’un reflet d’aristocratie dore de ses lueurs enchantées. Être une femme condamnée à une peine misérable et infamante n’est pas un empêchement à être belle, mais c’est un obstacle à jamais redevenir puissante. Comme tous les gens d’un mérite réel, milady connaissait le milieu qui convenait à sa nature, à ses moyens. La pauvreté lui répugnait, l’abjection la diminuait des deux tiers de sa grandeur. Milady n’était reine que parmi les reines ; il fallait à sa domination le plaisir de l’orgueil satisfait. Commander aux êtres inférieurs était plutôt une humiliation qu’un plaisir pour elle.

Certes, elle fût revenue de son exil, elle n’en doutait pas un seul instant ; mais combien de temps cet exil pouvait-il durer ? Pour une nature agissante et ambitieuse comme celle de milady, les jours qu’on n’occupe point à monter sont des jours néfastes. Comment donc nommer les jours qu’on emploie à descendre ! Perdre un an, deux ans, trois ans, c’est-à-dire une éternité ; revenir après la mort ou la disgrâce du cardinal peut-être ; revenir quand d’Artagnan et ses amis, heureux et triomphant, aurait reçu de la reine la récompense qui leur était bien acquise pour les services qu’ils lui avaient rendus : c’étaient là de ces idées dévorantes qu’une femme comme milady ne pouvait supporter. Au reste, l’orage qui grondait en elle doublait sa force, et elle eût fait éclater les murs de sa prison si son corps eût pu prendre un seul instant les proportions de son esprit.

Puis, ce qui l’aiguillonnait encore au milieu de tout cela, c’était le souvenir du cardinal. Que devait penser, que devait dire de son silence le cardinal défiant, inquiet, soupçonneux ; le cardinal, non seulement son seul appui, son seul soutien, son seul protecteur dans le présent, mais encore le principal instrument de sa fortune et de sa vengeance à venir ? Elle le connaissait : elle savait qu’à son retour, après un voyage inutile, elle aurait beau arguer de sa prison, elle aurait beau exalter les souffrances subies, le cardinal répondrait avec ce calme railleur du sceptique puissant à la fois par la force et par le génie : « Il ne fallait pas vous laisser prendre. »

Alors milady réunissait toute son énergie, murmurant au fond de sa pensée le nom de Felton, la seule lueur de jour qui pénétrât jusqu’à elle au fond de l’enfer où elle était tombée, et comme un serpent qui roule et déroule ses anneaux pour se rendre compte à lui-même de sa force, elle enveloppait d’avance Felton dans les mille replis de son inventive imagination.

Cependant le temps s’écoulait, les heures les unes après les autres semblaient réveiller la cloche en passant, et chaque coup du battant d’airain retentissait sur le cœur de la prisonnière. À neuf heures lord de Winter fit sa visite accoutumée, regarda la fenêtre et les barreaux, sonda le parquet et les murs, visita la cheminée et les portes, sans que pendant cette longue et minutieuse visite ni lui ni milady prononçassent une seule parole.

Sans doute que tous deux comprenaient que la situation était devenue trop grave pour perdre le temps en mots inutiles et en colère sans effet.

— Allons, allons, dit le baron en la quittant, vous ne vous sauverez pas encore cette nuit.