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bruit, qu’on venait l’arrêter et qu’on ramenait Planchet pour le confronter avec lui et ses amis. Il y a plus : sa confiance autrefois si grande dans le digne Picard, diminuait de jour en jour. Cette inquiétude était si forte qu’elle gagnait Porthos et Aramis : il n’y avait qu’Athos qui demeurât impassible, comme si aucun danger ne s’agitait autour de lui et qu’il respirât son atmosphère habituelle.

Le seizième jour surtout, ces signes d’agitation étaient si visibles chez d’Artagnan et ses deux amis, qu’ils ne pouvaient rester en place et qu’ils erraient comme des ombres sur le chemin par lequel devait revenir Planchet.

— Vraiment, leur disait Athos, vous n’êtes pas des hommes, vous êtes des enfants, pour qu’une femme vous fasse si grand’peur ! Eh ! de quoi s’agit-il après tout ? d’être emprisonnés ? Eh bien, mais on nous tirera de prison : on en a bien retiré Mme Bonacieux. D’être décapités ? mais tous les jours, dans la tranchée, nous allons joyeusement nous exposer à pis que cela, car un boulet peut nous casser la jambe, et je suis convaincu qu’un chirurgien nous fait plus souffrir en nous coupant la cuisse qu’un bourreau en nous coupant la tête. Demeurez donc tranquilles ; dans deux heures, dans quatre, dans six heures au plus tard, Planchet sera ici, il a promis d’y être, et moi j’ai très grande foi aux promesses de Planchet, qui m’a l’air d’un fort brave garçon.

— Mais s’il n’arrive pas ? dit d’Artagnan.

— Eh bien ! s’il n’arrive pas, c’est qu’il aura été retardé, voilà tout. Il peut être tombé de cheval, il peut avoir fait une cabriole par-dessus le pont, il peut avoir couru si vite qu’il en ait attrapé une fluxion de poitrine. Eh ! messieurs, faisons donc la part des événements. La vie est un grand chapelet de petites misères que le philosophe égrène en riant. Soyez philosophes comme moi, messieurs, mettez-vous à table et buvons ; rien ne fait paraître l’avenir couleur de rose comme de le regarder à travers un verre de chambertin.

— C’est fort bien, répondit d’Artagnan, mais je suis las d’avoir à craindre, en buvant frais, que le vin ne sorte de la cave de milady.

— Vous êtes bien difficile ! dit Athos, une si belle femme !

— Une femme de marque ! dit Porthos avec son gros rire.

Athos tressaillit, passa la main sur son front pour en essuyer la sueur, et se leva à son tour avec un mouvement nerveux qu’il ne put réprimer.

Le jour s’écoula cependant, et le soir vint plus lentement ; mais enfin il vint ; les buvettes s’emplirent de chalands. Athos, qui avait empoché sa part du diamant, ne quittait plus le Parpaillot : il avait trouvé dans M. de Busigny, qui, du reste, leur avait donné un dîner magnifique, un partner digne de lui. Ils jouaient donc ensemble comme d’habitude, quand sept heures sonnèrent ; on entendit passer les patrouilles qui allaient doubler les postes. À sept heures et demie la retraite sonna.

— Nous sommes perdus, dit d’Artagnan à l’oreille d’Athos.

— Vous voulez dire que nous avons perdu, dit tranquillement Athos en tirant quatre pistoles de sa poche et en les jetant sur la table. Eh bien ! messieurs, continua-t-il, on bat la retraite, allons nous coucher.

Et Athos sortit du Parpaillot suivi de d’Artagnan. Aramis venait derrière donnant le bras à Porthos. Aramis mâchonnait des vers, et Porthos s’arrachait de temps en temps quelques poils de moustache en signe de désespoir.