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M. Aramis, voici la réponse de votre cousine.

Les quatre amis échangèrent un coup d’œil joyeux : la moitié de la besogne était faite ; il est vrai que c’était la plus courte et la plus facile.

Aramis prit en rougissant malgré lui la lettre, qui était d’une écriture grossière et sans orthographe.

— Bon Dieu ! s’écria-t-il en riant, décidément j’en désespère ; jamais cette pauvre Michon n’écrira comme M. de Voiture.

— Qu’est-ce que cela feut dire, cette baufre Migeon ? demanda le Suisse, qui était en train de causer avec les quatre amis quand la lettre était arrivée.

— Oh ! mon Dieu ! moins que rien, dit Aramis, une petite lingère charmante que j’aimais fort, et à qui j’ai demandé quelques lignes de sa main en manière de souvenir.

— Dutieu ! dit le Suisse, zi zella-là il être auzi grante tame que son l’égridure, fous l’être en ponne fordune, mon gamarate !

Aramis lut la lettre et la passa à Athos.

— Voyez donc ce qu’elle m’écrit, Athos, dit-il.

Athos jeta un coup d’œil sur l’épître, et pour faire évanouir tous les soupçons qui auraient pu naître, lut tout haut :

« Mon cousin, ma sœur et moi devinons très bien les rêves et nous en avons même une peur affreuse ; mais du vôtre on pourra dire, je l’espère, tout songe est mensonge. Adieu, portez-vous bien, et faites que de temps en temps nous entendions parler de vous.

« Marie Michon. »

— Et de quel rêve parle-t-elle ? demanda le dragon, qui s’était approché pendant la lecture.

— Foui, te quel rêfe ? dit le Suisse.

— Eh ! pardieu ! dit Aramis, c’est tout simple, d’un rêve que j’ai fait et que je lui ai raconté.

— Oh ! foui, partieu ! c’être tout simple de ragonter son rêfe ; mais moi je ne rêfe jamais.

— Vous êtes fort heureux, dit Athos en se levant, et je voudrais bien pouvoir en dire autant que vous !

— Chamais, reprit le Suisse, enchanté qu’un homme comme Athos lui enviât quelque chose. Chamais, chamais.

D’Artagnan, voyant qu’Athos se levait, en fit autant, prit son bras et sortit.

Porthos et Aramis restèrent pour faire face aux quolibets du dragon et du Suisse.

Quant à Bazin, il s’alla coucher sur une botte de paille, et comme il avait plus d’imagination que le Suisse, il rêva que M. Aramis, devenu pape, le coiffait d’un chapeau de cardinal.

Mais, comme nous l’avons dit, Bazin n’avait, par son heureux retour, enlevé qu’une partie de l’inquiétude qui aiguillonnait les quatre amis. Les jours de l’attente sont longs, et d’Artagnan surtout aurait parié que les jours avaient maintenant quarante-huit heures. Il oubliait les lenteurs obligées de la navigation, il s’exagérait la puissance de milady ; il prêtait à cette femme, qui lui apparaissait pareille à un démon, des auxiliaires surnaturels comme elle ; il s’imaginait, au moindre