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qu’en lui. Tout autre ferait échouer l’affaire. D’ailleurs Bazin est ambitieux et savant. Bazin a lu l’histoire, messieurs, il sait que Sixte-Quint est devenu pape après avoir gardé les pourceaux ; et comme il compte se mettre d’église en même temps que moi, il ne désespère pas à son tour de devenir pape ou tout au moins cardinal. Vous comprenez qu’un homme qui a de pareilles visées ne se laissera pas prendre, ou, s’il est pris, subira le martyre plutôt que de parler.

— Bien, bien, dit d’Artagnan, je vous passe de grand cœur Bazin, mais passez-moi Planchet : milady l’a fait jeter à la porte certain jour avec force coups de bâton. Or, Planchet a bonne mémoire, et je vous en réponds, s’il peut supposer une vengeance possible, il se fera plutôt rouer vif que d’y renoncer. Si les affaires de Tours sont vos affaires, Aramis, celles de Londres sont les miennes. Je prie donc qu’on choisisse Planchet, lequel d’ailleurs a déjà été à Londres avec moi et sait dire très correctement : London, sir, if you please et my master lord d’Artagnan Avec cela, soyez tranquilles, il fera son chemin en allant et en revenant.

— En ce cas, dit Athos, il faut que Planchet reçoive sept cents livres pour aller et sept cents livres pour revenir, et Bazin trois cents livres pour aller et trois cents livres pour revenir ; cela réduira la somme à cinq mille livres ; nous prendrons mille livres chacun pour les employer comme bon nous semblera, et nous laisserons un fond de mille livres que gardera l’abbé pour les cas extraordinaires ou les besoins communs. Cela vous va-t-il ?

— Mon cher Athos, dit Aramis, vous parlez comme Nestor, qui était, comme chacun sait, le plus sage des Grecs.

— Eh bien ! c’est dit, reprit Athos : Planchet et Bazin partiront. À tout prendre, je ne suis pas fâché de conserver Grimaud ; il est accoutumé à mes façons, et j’y tiens ; la journée d’hier a déjà dû l’ébranler ; ce voyage le perdrait.

On fit venir Planchet, et on lui donna des instructions ; il avait été prévenu déjà par d’Artagnan, qui d’abord lui avait annoncé la gloire, ensuite l’argent, puis le danger.

— Je porterai la lettre dans le parement de mon habit, dit Planchet, et je l’avalerai, si l’on me prend.

— Mais, alors, tu ne pourras pas faire la commission, dit d’Artagnan.

— Vous m’en donnerez ce soir une copie que je saurai par cœur demain.

D’Artagnan regarda ses amis comme pour leur dire :

— Eh bien ! que vous avais-je promis ?

— Maintenant, continua-t-il en s’adressant à Planchet, tu as huit jours pour arriver près de lord de Winter ; tu as huit autres jours pour revenir ici : en tout seize jours. Si le seizième jour de ton départ, à huit heures du soir, tu n’es pas arrivé, pas d’argent, fût-il huit heures cinq minutes.

— Alors, monsieur, dit Planchet, achetez-moi une montre.

— Prends celle-ci, dit Athos, en lui donnant la sienne avec son insouciante générosité, et sois brave garçon ; songe que si tu parles, si tu bavardes, si tu flânes, tu fais couper le cou à ton maître, qui a si grande confiance dans ta fidélité, qu’il nous a répondu de toi. Mais songe aussi que s’il arrive par ta faute, malheur à d’Artagnan, je te retrouverai partout et ce sera pour t’ouvrir le ventre.