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avait fait filer vers le théâtre de la guerre toutes les troupes dont il avait pu disposer.

C’était de ce détachement envoyé en avant-garde que faisait partie notre ami d’Artagnan.

Le roi, comme nous l’avons dit, devait suivre aussitôt son lit de justice tenu. En se levant de ce lit de justice le 28 juin, il s’était senti pris par la fièvre. Il n’en avait pas moins voulu partir, mais son état empirant il avait été forcé de s’arrêter à Villeroy.

Or, où s’arrêtait le roi s’arrêtaient les mousquetaires ; il en résultait que d’Artagnan, qui était purement et simplement dans les gardes, se trouvait séparé, momentanément du moins, de ses bons amis Athos, Porthos et Aramis. Cette séparation, qui n’était pour lui qu’une contrariété, serait certes devenue une inquiétude sérieuse s’il eût pu deviner de quels dangers inconnus il était entouré.

Il n’en arriva pas moins sans accident au camp établi devant La Rochelle, vers le 10 du mois de septembre de l’année 1627.

Tout était dans le même état. Le duc de Buckingham et ses Anglais, maîtres de l’île de Ré, continuaient d’assiéger, mais sans succès, la citadelle de Saint-Martin et le fort de la Prée ; de plus les hostilités avec La Rochelle étaient commencées depuis deux ou trois jours à propos d’un fort que le duc d’Angoulême venait de faire construire près de la ville.

Les gardes, sous le commandement de M. des Essarts, avaient leur logement aux Minimes.

Mais, nous le savons, d’Artagnan, préoccupé de l’ambition de passer aux mousquetaires, avait rarement fait amitié avec ses camarades ; il se trouvait donc isolé et livré à ses propres réflexions.

Ses réflexions n’étaient pas riantes. Depuis un an qu’il était arrivé à Paris, il s’était mêlé aux affaires publiques, de sorte que ses affaires privées n’avaient pas fait grand chemin, comme amour et comme fortune.

Comme amour, la seule femme qu’il eût aimée véritablement, était Mme Bonacieux, et Mme Bonacieux avait disparu sans qu’il pût découvrir encore ce qu’elle était devenue.

Comme fortune, il s’était fait, lui chétif, ennemi du cardinal, c’est-à-dire d’un homme devant lequel tremblaient les plus grands du royaume, à commencer par le roi.

Cet homme pouvait l’écraser, et cependant il ne l’avait pas fait. Pour un esprit aussi perspicace que l’était d’Artagnan, cette indulgence était un jour par lequel il voyait dans un meilleur avenir.

Puis il s’était fait encore un autre ennemi, moins à craindre, pensait-il, mais que cependant il sentait instinctivement n’être pas à mépriser : cet ennemi, c’était milady.

En échange de tout cela il avait la protection et la bienveillance de la reine ; mais la bienveillance de la reine était, par le temps qui courait, une cause de plus de persécution, et sa protection, on le sait, protégeait fort mal : témoin Chalais et Mme Bonacieux.

Ce qu’il avait donc gagné de plus clair dans tout cela, c’était le diamant de cinq ou six mille livres qu’il portait au doigt, et encore ce diamant, en suppo-