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la porte Athos et les quatre mousquetaires qui attendaient son retour, et qui commençaient à s’inquiéter. D’un mot d’Artagnan les rassura, et Planchet courut prévenir les autres postes qu’il était inutile de monter une plus longue garde, attendu que son maître était sorti sain et sauf du Palais-Cardinal.

Rentrés chez Athos, Aramis et Porthos s’informèrent des causes de cet étrange rendez-vous ; mais d’Artagnan se contenta de leur dire que M. de Richelieu l’avait fait venir pour lui proposer d’entrer dans ses gardes avec le grade d’enseigne, et qu’il avait refusé.

— Et vous avez eu raison ! s’écrièrent d’une seule voix Porthos et Aramis.

Athos tomba dans une profonde rêverie et ne répondit rien.

Mais lorsqu’il fut seul avec d’Artagnan :

— Vous avez fait ce que vous deviez faire, lui dit-il, mais peut-être avez-vous eu tort.

D’Artagnan poussa un soupir, car cette voix répondait à une voix secrète de son âme qui lui disait que de grands malheurs l’attendaient.

La journée du lendemain se passa en préparatifs de départ.

D’Artagnan alla faire ses adieux à M. de Tréville. À cette heure on croyait encore que la séparation des gardes et des mousquetaires serait momentanée. Le roi tenant son parlement le jour même, et devant partir le lendemain, M. de Tréville se contenta de demander à d’Artagnan s’il avait besoin de lui ; mais d’Artagnan répondit qu’il avait tout ce qu’il lui fallait.

La nuit réunit tous les camarades de la compagnie des gardes de M. des Essarts et de la compagnie des mousquetaires de M. de Tréville, qui avaient fait amitié ensemble. On se quittait pour se revoir quand il plairait à Dieu et s’il plaisait à Dieu. La nuit fut donc des plus bruyantes, comme on peut le penser, car en pareil cas on ne peut combattre l’extrême préoccupation que par l’extrême insouciance.

Le lendemain, au premier son des trompettes, les amis se quittèrent ; les mousquetaires coururent à l’hôtel de M. de Tréville, les gardes à celui de M. des Essarts. Chacun des capitaines conduisit aussitôt sa compagnie au Louvre, où le roi passait sa revue.

Le roi était triste et paraissait malade, ce qui lui ôtait de sa haute mine. En effet, la veille la fièvre l’avait pris au milieu du parlement et tandis qu’il tenait son lit de justice. Il n’en était pas moins décidé à partir le soir même, et malgré les observations qu’on lui avait faites, il avait voulu passer sa revue, espérant, par ce premier coup de vigueur, vaincre la maladie qui commençait à s’emparer de lui.

La revue passée, les gardes se mirent seuls en marche, les mousquetaires ne devant partir qu’avec le roi, ce qui permit à Porthos d’aller faire, avec son superbe équipage, un tour dans la rue aux Ours.

La procureuse le vit passer avec son uniforme neuf et sur son beau cheval. Elle aimait trop Porthos pour le laisser partir ainsi ; elle lui fit signe de descendre et de venir auprès d’elle. Porthos était magnifique ; ses éperons résonnaient, sa cuirasse brillait, son épée lui battait fièrement les jambes. Cette fois les clercs n’eurent aucune envie de rire, tant Porthos avait l’air d’un coupeur d’oreilles.

Le mousquetaire fut introduit près de M. Coquenard, dont le petit œil gris