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— Vous m’aimez, vous ? s’écria-t-il. Oh ! si cela était, ce serait à en perdre la raison !

Et il l’enveloppa de ses deux bras ; elle n’essaya point d’écarter ses lèvres de son baiser, seulement elle ne le lui rendit pas.

Ses lèvres étaient froides ; il sembla à d’Artagnan qu’il venait d’embrasser une statue ou un spectre.

D’Artagnan, ivre de joie, électrisé d’amour, croyait presque à la tendresse de milady, il croyait presque au crime de de Wardes. Si de Wardes eût été en ce moment sous sa main, il l’eût tué.

Milady saisit l’occasion.

— Il s’appelle… dit-elle à son tour.

— De Wardes, je le sais, interrompit d’Artagnan.

— Et comment le savez-vous ? demanda milady en lui saisissant les deux mains et en essayant de lire par ses yeux jusqu’au fond de son âme.

D’Artagnan sentit qu’il s’était laissé emporter, et qu’il avait fait une faute.

— Dites, dites, mais dites donc ! répétait milady, comment le savez-vous ?

— Comment je le sais ? dit d’Artagnan.

— Oui.

— Je le sais, parce qu’hier de Wardes, dans un salon où j’étais, a montré une bague qu’il a dit tenir de vous.

— Le misérable ! s’écria milady.

L’épithète, comme on le comprend bien, retentit jusqu’au fond du cœur de d’Artagnan.

— Eh bien !… continua-t-elle.

— Eh bien ! je vous vengerai de ce… misérable ! reprit d’Artagnan en se donnant des airs de don Japhet d’Arménie.

— Merci, mon brave ami, s’écria milady. Et quand serai-je vengée ?

— Demain, tout de suite, quand vous voudrez.

Milady allait s’écrier : « Tout de suite ! », mais elle réfléchit qu’une pareille précipitation serait peu gracieuse pour d’Artagnan.

D’ailleurs, elle avait mille précautions à prendre, mille conseils à donner à son défenseur, pour qu’il évitât les explications devant témoins avec le comte.

— Demain, dit-il, vous serez vengée ou je serai mort.

— Non, dit-elle, vous me vengerez, mais vous ne mourrez pas : c’est un lâche.

— Avec les femmes peut-être, mais pas avec les hommes ; j’en sais quelque chose, moi.

— Mais il me semble que dans votre lutte avec lui, vous n’avez pas eu à vous plaindre de la fortune.

— La fortune est une courtisane : favorable hier, elle peut me trahir demain.

— Ce qui veut dire que vous hésitez maintenant ?

— Non, je n’hésite pas, Dieu m’en garde ! mais serait-il juste de me laisser aller à une mort possible sans m’avoir donné au moins un peu plus que de l’espoir ?

Milady répondit par un coup d’œil qui voulait dire : n’est-ce que cela ? Parlez donc. Puis accompagnant le coup d’œil de paroles explicatives :