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— Ah ! monsieur, reprit Planchet en revenant à son idée mère, que ce M. Bonacieux a quelque chose de sournois dans ses sourcils et de déplaisant dans le jeu de ses lèvres !

— Que diable te fait penser à M. Bonacieux ?

— Monsieur, l’on pense à ce que l’on peut et non pas à ce que l’on veut.

— Parce que tu es un poltron, Planchet.

— Monsieur, ne confondons pas la prudence avec la poltronnerie ; la prudence est une vertu.

— Et tu es vertueux, n’est-ce pas, Planchet ?

— Monsieur, n’est-ce point le canon d’un mousquet qui brille là-bas ? Si nous baissions la tête ?

— En vérité, murmura d’Artagnan, à qui les recommandations de M. de Tréville revenaient en mémoire ; en vérité, cet animal finirait par me faire peur. Et il mit son cheval au trot.

Planchet suivit le mouvement de son maître, exactement comme s’il eût été son ombre, et se trouva trottant près de lui.

— Est-ce que nous allons marcher comme cela toute la nuit, monsieur ? demanda-t-il.

— Non, Planchet, car tu es arrivé, toi.

— Comment ! je suis arrivé ! et monsieur ?

— Moi, je vais encore à quelques pas.

— Et monsieur me laisse seul ici ?

— Tu as peur, Planchet ?

— Non, mais je fais seulement observer à monsieur que la nuit sera très froide, que les fraîcheurs donnent des rhumatismes et qu’un laquais qui a des rhumatismes est un triste serviteur, surtout pour un maître alerte comme monsieur.

— Eh bien ! si tu as froid, Planchet, tu entreras dans un de ces cabarets que tu vois là-bas, et tu m’attendras demain matin à six heures devant la porte.

— Monsieur, j’ai bu et mangé respectueusement l’écu que vous m’avez donné ce matin, de sorte qu’il ne me reste pas un traître sou dans le cas où j’aurais froid.

— Voici une demi-pistole. À demain.

D’Artagnan descendit de son cheval, en jeta la bride au bras de Planchet et s’éloigna rapidement en s’enveloppant de son manteau.

— Dieu ! que j’ai froid ! s’écria Planchet dès qu’il eut perdu son maître de vue. Et, pressé qu’il était de se réchauffer, il se hâta d’aller frapper à la porte d’une maison parée de tous les attributs d’un cabaret de banlieue.

Cependant d’Artagnan, qui s’était jeté dans un petit chemin de traverse, continuait sa route et atteignait Saint-Cloud ; mais au lieu de suivre la grande rue, il tourna derrière le château, gagna une espèce de ruelle fort écartée, et se trouva bientôt en face du pavillon indiqué. Il était situé dans un lieu tout à fait désert. Un grand mur, à l’angle duquel était ce pavillon, régnait d’un côté de cette ruelle, et de l’autre une haie défendait contre les passants un petit jardin, au fond duquel s’élevait une maigre cabane.

Il était arrivé au rendez-vous, et comme on ne lui avait pas dit d’annoncer sa présence par aucun signal, il attendit.