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antithétiques à l’aide desquels les orateurs construisent ces phrases ambitieuses d’applaudissements, qui parfois font croire à une véritable éloquence.

Lorsque son petit speech intérieur fut arrangé, Villefort sourit à son effet, et revenant à Dantès :

— Continuez, Monsieur, dit-il.

— Que voulez-vous que je continue ?

— D’éclairer la justice.

— Que la justice me dise sur quel point elle veut être éclairée, et je lui dirai tout ce que je sais ; seulement, ajouta-t-il à son tour avec un sourire, je la préviens que je ne sais pas grand-chose.

— Avez-vous servi sous l’usurpateur ?

— J’allais être incorporé dans la marine militaire lorsqu’il est tombé.

— On dit vos opinions politiques exagérées, dit Villefort, à qui l’on n’avait pas soufflé un mot de cela, mais qui n’était pas fâché de poser la demande comme on pose une accusation.

— Mes opinions politiques, à moi, Monsieur ? hélas ! c’est presque honteux à dire, mais je n’ai jamais eu ce qu’on appelle une opinion : j’ai dix-neuf ans à peine, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire ; je ne sais rien, je ne suis destiné à jouer aucun rôle ; le peu que je suis et que je serai, si l’on m’accorde la place que j’ambitionne, c’est à M. Morrel que je le devrai. Aussi, toutes mes opinions, je ne dirai pas politiques, mais privées, se bornent-elles à ces trois sentiments : j’aime mon père, je respecte M. Morrel et j’adore Mercédès. Voilà, Monsieur, tout ce que je puis dire à la justice ; vous voyez que c’est peu intéressant pour elle.

À mesure que Dantès parlait, Villefort regardait son visage à la fois si doux et si ouvert, et se sentait