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bien nette à l’endroit des opinions politiques ; et d’ailleurs la confidence que lui avait faite Dantès à l’endroit de son entrevue avec le grand maréchal et des quelques mots que lui avait adressés l’empereur, lui troublait quelque peu l’esprit. Il ajouta, toutefois, avec l’accent du plus profond intérêt :

— Je vous en supplie, monsieur de Villefort, soyez juste comme vous devez l’être, bon comme vous l’êtes toujours, et rendez-nous bien vite ce pauvre Dantès !

Le rendez-nous sonna révolutionnairement à l’oreille du substitut du procureur du roi.

— Eh ! eh ! se dit-il tout bas, rendez-nous… ce Dantès serait-il affilié à quelque secte de carbonari, pour que son protecteur emploie ainsi sans y songer la formule collective ? On l’a arrêté dans un cabaret, m’a dit, je crois, le commissaire ; en nombreuse compagnie, a-t-il ajouté : ce sera quelque vente.

Puis tout haut :

— Monsieur, répondit-il, vous pouvez être parfaitement tranquille, et vous n’aurez pas fait un appel inutile à ma justice si le prévenu est innocent ; mais si, au contraire, il est coupable, nous vivons dans une époque difficile, Monsieur, où l’impunité serait d’un fatal exemple : je serai donc forcé de faire mon devoir.

Et sur ce, comme il était arrivé à la porte de sa maison adossée au palais de justice, il entra majestueusement, après avoir salué, avec une politesse de glace, le malheureux armateur qui resta comme pétrifié à la place où l’avait quitté Villefort.

L’antichambre était pleine de gendarmes et d’agents de police ; au milieu d’eux, gardé à vue, enveloppé de regards flamboyants de haine, se tenait debout, calme et immobile, le prisonnier.