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cartouche ou en marchant à la baïonnette ? Eh bien ? réfléchiront-ils davantage pour tuer un homme qu’ils croient leur ennemi personnel, que pour tuer un Russe, un Autrichien ou un Hongrois qu’ils n’ont jamais vu ? D’ailleurs il faut cela, voyez-vous ; sans cela notre métier n’aurait point d’excuse. Moi-même, quand je vois luire dans l’œil de l’accusé l’éclair lumineux de la rage je me sens tout encouragé, je m’exalte : ce n’est plus un procès, c’est un combat ; je lutte contre lui, il riposte, je redouble et le combat finit, comme tous les combats, par une victoire ou une défaite. Voilà ce que c’est que de plaider ! c’est le danger qui fait l’éloquence. Un accusé qui me sourirait après ma réplique, me ferait croire que j’ai parlé mal, que ce que j’ai dit est pâle, sans vigueur, insuffisant. Songez donc à la sensation d’orgueil qu’éprouve un procureur du roi convaincu de la culpabilité de l’accusé, lorsqu’il voit blêmir et s’incliner son coupable sous le poids des preuves et sous les foudres de son éloquence ! Cette tête se baisse, elle tombera…

Renée jeta un léger cri.

— Voilà qui est parler, dit un des convives.

— Voilà l’homme qu’il faut dans des temps comme les nôtres ! dit un second.

— Aussi, dit un troisième, dans votre dernière affaire vous avez été superbe, mon cher Villefort. Vous savez, cet homme qui avait assassiné son père ; eh bien, littéralement, vous l’aviez tué avant que le bourreau n’y touchât.

— Oh ! pour les parricides, dit Renée, oh ! peu m’importe, il n’y a pas de supplice assez grand pour de pareils hommes ; mais pour les malheureux accusés politiques !…

— Mais c’est pis encore, Renée, car le roi est le père