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— Oh ! monsieur de Villefort, dit une jeune et jolie personne, fille du comte de Salvieux et amie de mademoiselle de Saint-Méran, tâchez donc d’avoir un beau procès tandis que nous serons à Marseille. Je n’ai jamais vu une cour d’assises, et l’on dit que c’est fort curieux.

— Fort curieux, en effet, Mademoiselle, dit le substitut ; car au lieu d’une tragédie factice, c’est un drame véritable ; au lieu de douleurs jouées, ce sont des douleurs réelles. Cet homme qu’on voit là, au lieu, la toile baissée, de rentrer chez lui, de souper en famille et de se coucher tranquillement pour recommencer le lendemain, rentre dans la prison où il trouve le bourreau. Vous voyez bien que pour les personnes nerveuses qui cherchent les émotions, il n’y a pas de spectacle qui vaille celui-là. Soyez tranquille, Mademoiselle, si la circonstance se présente, je vous le procurerai.

— Il nous fait frissonner… et il rit ! dit Renée toute pâlissante.

— Que voulez-vous… c’est un duel… J’ai déjà requis cinq ou six fois la peine de mort contre des accusés politiques ou autres… Eh bien ! qui sait combien de poignards à cette heure s’aiguisent dans l’ombre, ou sont déjà dirigés contre moi ?

— Oh ! mon Dieu ! dit Renée en s’assombrissant de plus en plus, parlez-vous donc sérieusement, monsieur de Villefort ?

— On ne peut plus sérieusement, Mademoiselle, reprit le jeune magistrat le sourire sur les lèvres. Et avec ces beaux procès que désire Mademoiselle pour satisfaire sa curiosité, et que je désire, moi, pour satisfaire mon ambition, la situation ne fera que s’aggraver. Tous ces soldats de Napoléon, habitués à aller en aveugles à l’ennemi, croyez-vous qu’ils réfléchissent en brûlant une