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— Je le crois, répondit M. Morrel, mais on l’accuse.

— De quoi donc ? demanda le vieux Dantès.

— D’être un agent bonapartiste.

Ceux de mes lecteurs qui ont vécu dans l’époque où se passe cette histoire se rappelleront quelle terrible accusation c’était, à cette époque-là, que celle que venait de formuler M. Morrel.

Mercédès poussa un cri ; le vieillard se laissa tomber sur une chaise.

— Ah ! murmura Caderousse, vous m’avez trompé, Danglars, et la plaisanterie a été faite ; mais je ne veux pas laisser mourir de douleur ce vieillard et cette jeune fille, et je vais tout leur dire.

— Tais-toi, malheureux ! s’écria Danglars en saisissant la main de Caderousse, ou je ne réponds pas de toi-même ; qui te dit que Dantès n’est pas véritablement coupable ? le bâtiment a touché à l’île d’Elbe, il y est descendu, il est resté tout un jour à Porto-Ferrajo ; si l’on trouvait sur lui quelque lettre qui le compromette, ceux qui l’auraient soutenu passeraient pour ses complices.

Caderousse, avec l’instinct rapide de l’égoïsme, comprit toute la solidité de ce raisonnement ; il regarda Danglars avec des yeux hébétés par la crainte et la douleur, et, pour un pas qu’il avait fait en avant, il en fit deux en arrière.

— Attendons, alors, murmura-t-il.

— Oui, attendons, dit Danglars ; s’il est innocent, on le mettra en liberté ; s’il est coupable, il est inutile de se compromettre pour un conspirateur.

— Alors, partons, je ne puis rester plus longtemps ici.

— Oui, viens, dit Danglars enchanté de trouver un compagnon de retraite, viens, et laissons-les se retirer de là comme ils pourront.