Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 1.djvu/303

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Dantès était tellement épuisé, que l’exclamation de joie qu’il fit fut prise pour un soupir de douleur.

Comme nous l’avons dit, il était couché sur le pont : un matelot lui frottait les membres avec une couverture de laine ; un autre, qu’il reconnut pour celui qui lui avait crié : Courage ! lui introduisit l’orifice d’une gourde dans la bouche ; un troisième, vieux marin, qui était à la fois le pilote et le patron, le regardait avec le sentiment de pitié égoïste qu’éprouvent en général les hommes pour un malheur auquel ils ont échappé la veille et qui peut les atteindre le lendemain.

Quelques gouttes de rhum, que contenait la gourde, ranimèrent le cœur défaillant du jeune homme, tandis que les frictions que le matelot, à genoux devant lui, continuait d’opérer avec de la laine, rendaient l’élasticité à ses membres.

— Qui êtes-vous ? demanda en mauvais français le patron.

— Je suis, répondit Dantès en mauvais italien, un matelot maltais ; nous venions de Syracuse, nous étions chargés de vin et de panoline. Le grain de cette nuit nous a surpris au cap Morgiou, et nous avons été brisés contre ces rochers que vous voyez là-bas.

— D’où venez-vous ?

— De ces rochers où j’avais eu le bonheur de me cramponner, tandis que notre pauvre capitaine s’y brisait la tête. Nos trois autres compagnons se sont noyés. Je crois que je suis le seul qui reste vivant ; j’ai aperçu votre navire, et, craignant d’avoir longtemps à attendre sur cette île isolée et déserte, je me suis hasardé sur un débris de notre bâtiment pour essayer de venir jusqu’à vous. Merci, continua Dantès, vous m’avez sauvé la vie ; j’étais perdu quand l’un de vos matelots m’a saisi par les cheveux.