Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 1.djvu/245

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Deux ans ! dit Dantès, vous croyez que je pourrais apprendre toutes ces choses en deux ans ?

— Dans leur application, non ; dans leurs principes, oui : apprendre n’est pas savoir ; il y a les sachants et les savants : c’est la mémoire qui fait les uns, c’est la philosophie qui fait les autres.

— Mais ne peut-on apprendre la philosophie ?

— La philosophie ne s’apprend pas ; la philosophie est la réunion des sciences acquises au génie qui les applique ; la philosophie, c’est le nuage éclatant sur lequel le Christ a posé le pied pour remonter au ciel.

— Voyons, dit Dantès, que m’apprendrez-vous d’abord ? J’ai hâte de commencer, j’ai soif de science.

— Tout ! dit l’abbé.

En effet, dès le soir les deux prisonniers arrêtèrent un plan d’éducation qui commença de s’exécuter le lendemain. Dantès avait une mémoire prodigieuse, une facilité de conception extrême : la disposition mathématique de son esprit le rendait apte à tout comprendre par le calcul, tandis que la poésie du marin corrigeait tout ce que pouvait avoir de trop matériel la démonstration réduite à la sécheresse des chiffres ou à la rectitude des lignes ; il savait déjà d’ailleurs l’italien et un peu de romaïque qu’il avait appris dans ses voyages d’Orient. Avec ces deux langues il comprit bientôt le mécanisme de toutes les autres, et, au bout de six mois, il commençait à parler l’espagnol, l’anglais et l’allemand.

Comme il l’avait dit à l’abbé Faria, soit que la distraction que lui donnait l’étude lui tint lieu de liberté, soit qu’il fût, comme nous l’avons vu déjà, rigide observateur de sa parole, il ne parlait plus de fuir, et les journées s’écoulaient pour lui rapides et instructives. Au bout d’un an c’était un autre homme.