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réussit, à un précipice donnant à pic sur la mer ; se précipiter de cinquante, de soixante, de cent pieds peut-être, pour s’écraser, en tombant, la tête sur quelque rocher, si la balle des sentinelles ne vous a point déjà tué auparavant ; être obligé, si l’on échappe à tous ces dangers, de faire en nageant une lieue, c’en était trop pour qu’on ne se résignât point, et nous avons vu que Dantès avait failli pousser cette résignation jusqu’à la mort.

Mais maintenant que le jeune homme avait vu un vieillard se cramponner à la vie avec tant d’énergie et lui donner l’exemple des résolutions désespérées, il se mit à réfléchir et à mesurer son courage. Un autre avait tenté ce qu’il n’avait pas même eu l’idée de faire ; un autre moins jeune, moins fort, moins adroit que lui, s’était procuré, à force d’adresse et de patience, tous les instruments dont il avait eu besoin pour cette incroyable opération, qu’une mesure mal prise avait pu seule faire échouer ; un autre avait fait tout cela, rien n’était donc impossible à Dantès : Faria avait percé cinquante pieds, il en percerait cent ; Faria, à cinquante ans, avait mis trois ans à son œuvre ; il n’avait que la moitié de l’âge de Faria, lui, il en mettrait six ; Faria, abbé, savant, homme d’église, n’avait pas craint de risquer la traversée du château d’If à l’île de Daume, de Ratonneau ou de Lemaire ; lui, Edmond le marin, lui Dantès le hardi plongeur, qui avait été si souvent chercher une branche de corail au fond de la mer, hésiterait-il donc à faire une lieue en nageant ? Que fallait-il pour faire une lieue en nageant ? une heure ? Eh bien ! n’était-il donc pas resté des heures entières à la mer sans reprendre pied sur le rivage ! Non, non, Dantès n’avait besoin que d’être encouragé par un exemple. Tout ce qu’un autre a fait ou aurait pu faire, Dantès le fera.