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l’homme d’Arcole, de Marengo et d’Austerlitz. Dis-lui cela, Gérard ; ou plutôt, va, ne lui dis rien ; dissimule ton voyage ; ne te vante pas de ce que tu es venu faire et de ce que tu as fait à Paris ; reprends la poste ; si tu as brûlé le chemin pour venir, dévore l’espace pour retourner ; rentre à Marseille de nuit ; pénètre chez toi par une porte de derrière, et là, reste bien doux, bien humble, bien secret, bien inoffensif surtout, car cette fois, je te le jure, nous agirons en gens vigoureux et qui connaissent leurs ennemis. Allez, mon fils, allez, mon cher Gérard, et moyennant cette obéissance aux ordres paternels, ou, si vous l’aimez mieux, cette déférence pour les conseils d’un ami, nous vous maintiendrons dans votre place. Ce sera, ajouta Noirtier en souriant, un moyen pour vous de me sauver une seconde fois si la bascule politique vous remet un jour en haut et moi en bas. Adieu, mon cher Gérard ; à votre prochain voyage descendez chez moi.

Et Noirtier sortit à ces mots, avec la tranquillité qui ne l’avait pas quitté un instant pendant la durée de cet entretien si difficile.

Villefort, pâle et agité, courut à la fenêtre, entr’ouvrit le rideau, et le vit passer calme et impassible au milieu de deux ou trois hommes de mauvaise mine, embusqués au coin des bornes et à l’angle des rues, qui étaient peut-être là pour arrêter l’homme aux favoris noirs, à la redingote bleue et au chapeau à larges bords.

Villefort demeura ainsi debout et haletant jusqu’à ce que son père eût disparu au carrefour Bussy. Alors il s’élança vers les objets abandonnés par lui, mit au plus profond de sa malle la cravate noire et la redingote bleue, tordit le chapeau qu’il fourra dans le bas d’une armoire, brisa la canne de jonc en trois morceaux qu’il