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avec l’accusé, la peine de mort contre les prévenus ; et ces prévenus, exécutés grâce à son éloquence foudroyante qui avait entraîné ou les juges ou le jury, n’avaient pas même laissé un nuage sur son front, car ces prévenus étaient coupables, ou du moins Villefort les croyait tels.

Mais cette fois c’était bien autre chose : cette peine de la prison perpétuelle, il venait de l’appliquer à un innocent, un innocent qui allait être heureux, et dont il détruisait non seulement la liberté, mais le bonheur, cette fois il n’était plus juge, il était bourreau.

En songeant à cela il sentait ce battement sourd que nous avons décrit, et qui lui était inconnu jusqu’alors, retentissant au fond de son cœur et emplissant sa poitrine de vagues appréhensions. C’est ainsi que, par une violente souffrance instinctive, est averti le blessé, qui jamais n’approchera sans trembler le doigt de sa blessure ouverte et saignante avant que sa blessure ne soit fermée.

Mais la blessure qu’avait reçue Villefort était de celles qui ne se ferment pas, ou qui ne se ferment que pour se rouvrir plus sanglantes et plus douloureuses qu’auparavant.

Si, dans ce moment, la douce voix de Renée eût retenti à son oreille pour lui demander grâce ; si la belle Mercédès fût entrée et lui eût dit : « Au nom du Dieu qui nous regarde et qui nous juge, rendez-moi mon fiancé ; » oui, ce front à moitié plié sous la nécessité s’y fût courbé tout à fait, et de ses mains glacées eût sans doute, au risque de tout ce qui pouvait en résulter pour lui, signé l’ordre de mettre en liberté Dantès ; mais aucune voix ne murmura dans le silence, et la porte ne s’ouvrit que pour donner entrée au valet de chambre de Villefort, qui