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a creusé entre l’île de Calasareigne et l’île de Jaros ; il avait doublé Pomègue, et il s’avançait sous ses trois huniers, son grand foc et sa brigantine, mais si lentement et d’une allure si triste, que les curieux, avec cet instinct qui pressent un malheur, se demandaient quel accident pouvait être arrivé à bord. Néanmoins les experts en navigation reconnaissaient que si un accident était arrivé, ce ne pouvait être au bâtiment lui-même ; car il s’avançait dans toutes les conditions d’un navire parfaitement gouverné : son ancre était en mouillage, ses haubans de beaupré décrochés ; et près du pilote, qui s’apprêtait à diriger le Pharaon par l’étroite entrée du port de Marseille, était un jeune homme au geste rapide et à l’œil actif, qui surveillait chaque mouvement du navire et répétait chaque ordre du pilote.

La vague inquiétude qui planait sur la foule avait particulièrement atteint un des spectateurs de l’esplanade de Saint-Jean, de sorte qu’il ne put attendre l’entrée du bâtiment dans le port ; il sauta dans une petite barque et ordonna de ramer au-devant du Pharaon, qu’il atteignit en face de l’anse de la Réserve.

En voyant venir cet homme, le jeune marin quitta son poste à côté du pilote, et vint, le chapeau à la main, s’appuyer à la muraille du bâtiment.

C’était un jeune homme de dix-huit à vingt ans, grand, svelte, avec de beaux yeux noirs et des cheveux d’ébène ; il y avait dans toute sa personne cet air calme et de résolution particulier aux hommes habitués depuis leur enfance à lutter avec le danger.

— Ah ! c’est vous, Dantès ! cria l’homme à la barque ; qu’est-il donc arrivé, et pourquoi cet air de tristesse répandu sur tout votre bord ?

— Un grand malheur, monsieur Morrel ! répondit le