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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

Le souper était fini. Geneviève donna l’exemple de la retraite en se levant elle-même.

En ce moment la pendule sonna.

— Minuit, dit froidement Morand.

— Minuit ! s’écria Maurice, minuit déjà !

— Voilà une exclamation qui me fait plaisir, dit Dixmer ; elle prouve que vous ne vous êtes pas ennuyé, et elle me donne l’espoir que nous nous reverrons. C’est la maison d’un bon patriote qu’on vous ouvre, et j’espère que vous vous apercevrez bientôt, citoyen, que c’est celle d’un ami.

Maurice salua, et, se retournant vers Geneviève :

— La citoyenne me permet-elle aussi de revenir ? demanda-t-il.

— Je fais plus que de le permettre, je vous en prie, dit vivement Geneviève. Adieu, citoyen.

Et elle rentra chez elle.

Maurice prit congé de tous les convives, salua particulièrement Morand, qui lui avait beaucoup plu, serra la main de Dixmer, et partit étourdi, mais bien plus joyeux qu’attristé, de tous les événements si différents les uns des autres qui avaient agité sa soirée.

— Fâcheuse, fâcheuse rencontre ! dit après la retraite de Maurice la jeune femme fondant en larmes en présence de son mari, qui l’avait reconduite chez elle.

— Bah ! le citoyen Maurice Lindey, patriote reconnu, secrétaire d’une section, pur, adoré, populaire, est, au contraire, une bien précieuse acquisition pour un pauvre tanneur qui a chez lui de la marchandise de contrebande, répondit Dixmer en souriant.

— Ainsi, vous croyez, mon ami ?… demanda timidement Geneviève.

— Je crois que c’est un brevet de patriotisme, un cachet d’absolution qu’il pose sur notre maison ; et je pense qu’à partir de cette soirée, le chevalier de Maison-Rouge lui-même serait en sûreté chez nous.

Et Dixmer, baisant sa femme au front avec une affection bien plus paternelle que conjugale, la laissa dans ce petit pavillon qui lui était entièrement consacré, et repassa dans l’autre partie du bâtiment qu’il habitait, avec les convives que nous avons vus entourer sa table.


CHAPITRE X

le savetier simon



C ’était au commencement du mois de mai ; un jour pur dilatait les poitrines lassées de respirer les brouillards glacés de l’hiver, et les rayons d’un soleil tiède et vivifiant descendaient sur la noire muraille du Temple.

Au guichet de l’intérieur, qui séparait la tour des jardins, riaient et fumaient les soldats du poste.

Mais malgré cette belle journée, malgré l’offre qui fut faite aux prisonnières de descendre et de se promener au jardin, les trois femmes refusèrent : depuis l’exécution de son mari, la reine se tenait obstinément dans sa chambre, pour n’avoir point à passer devant la porte de l’appartement qu’avait occupé le roi, au second étage.

Quand elle prenait l’air, par hasard, depuis cette fatale époque du 21 janvier, c’était sur le haut de la tour, dont on avait fermé les créneaux avec des jalousies.

Les gardes nationaux de service, qui étaient prévenus que les trois femmes avaient l’autorisation de sortir, attendirent donc vainement toute la journée qu’elles voulussent bien user de l’autorisation.

Vers cinq heures, un homme descendit et s’approcha du sergent commandant le poste.

— Ah ! ah ! c’est toi, père Tison ! dit celui-ci qui paraissait un garde national de joyeuse humeur.

— Oui, c’est moi, citoyen ; je t’apporte de la part du municipal Maurice Lindey, ton ami, qui est là-haut, cette permission accordée, par le conseil du Temple, à ma fille, de venir faire ce soir une petite visite à sa mère.

— Et tu sors au moment où ta fille va venir, père dénaturé ? dit le sergent.

— Ah ! je sors bien à contrecœur, citoyen sergent. J’espérais, moi aussi, voir ma pauvre enfant, que je n’ai pas vue depuis deux mois, et l’embrasser… là, ce qui s’appelle crânement, comme un père embrasse sa fille. Mais oui ! va te promener. Le service, ce service damné, me force à sortir. Il faut que j’aille à la Commune faire mon rapport. Un fiacre m’attend