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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

que la nuit. À la clarté du soleil, je vais retrouver la porte par laquelle elle s’est glissée, et qui sait si je ne l’apercevrai pas elle-même à quelque fenêtre ?

Il entra alors dans la vieille rue Saint-Jacques, se plaça comme l’inconnue l’avait placé la veille. Un instant il ferma les yeux, croyant peut-être, le pauvre fou ! que le baiser de la veille allait une seconde fois brûler ses lèvres. Mais il n’en ressentit que le souvenir. Il est vrai que le souvenir brûlait encore.

Maurice rouvrit les yeux, vit les deux ruelles, l’une à sa droite et l’autre à sa gauche. Elles étaient fangeuses, mal pavées, garnies de barrières, coupées de petits ponts jetés sur un ruisseau. On y voyait des arcades en poutres, des recoins, vingt portes mal assurées, pourries. C’était le travail grossier dans toute sa misère, la misère dans toute sa hideur. Çà et là un jardin, fermé tantôt par des haies, tantôt par des palissades en échalas, quelques-uns par des murs ; des peaux séchant sous des hangars et répandant cette odieuse odeur de tannerie qui soulève le cœur. Maurice chercha, combina pendant deux heures et ne trouva rien, ne devina rien ; dix fois il revint sur ses pas pour s’orienter. Mais toutes ses tentatives furent inutiles, toutes ses recherches infructueuses. Les traces de la jeune femme semblaient avoir été effacées par le brouillard et la pluie.

— Allons, se dit Maurice, j’ai rêvé. Ce cloaque ne peut avoir un instant servi de retraite à ma belle fée de cette nuit.

Il y avait dans ce républicain farouche une poésie bien autrement réelle que dans son ami aux quatrains anacréontiques, puisqu’il rentra sur cette idée, pour ne pas ternir l’auréole qui éclairait la tête de son inconnue. Il est vrai qu’il rentra désespéré.

— Adieu ! dit-il, belle mystérieuse : tu m’as traité en sot ou en enfant. En effet, serait-elle venue ici avec moi si elle y demeurait ? Non ! elle n’a fait qu’y passer, comme un cygne sur un marais infect. Et, comme celle de l’oiseau dans l’air, sa trace estinvisible.

CHAPITRE VI

Le temple



L e même jour, à la même heure où Maurice, douloureusement désappointé, repassait le pont de la Tournelle, plusieurs municipaux, accompagnés de Santerre, commandant de la garde nationale parisienne, faisaient une visite sévère dans la tour du Temple, transformée en prison depuis le 13 août 1792.

Cette visite s’exerçait particulièrement dans l’appartement du troisième étage, composé d’une antichambre et de trois pièces.

Une de ces chambres était occupée par deux femmes, une jeune fille et un enfant de neuf ans, tous vêtus de deuil.

L’aînée de ces femmes pouvait avoir trente-sept à trente-huit ans. Elle était assise et lisait près d’une table.

La seconde était assise et travaillait à un ouvrage de tapisserie : elle pouvait être âgée de vingt-huit à vingt-neuf ans.

La jeune fille en avait quatorze et se tenait près de l’enfant, qui, malade et couché, fermait les yeux comme s’il dormait, quoique évidemment il fût impossible de dormir au bruit que faisaient les municipaux.

Les uns remuaient les lits, les autres déployaient les pièces de linge ; d’autres enfin, qui avaient fini leurs recherches, regardaient avec une fixité insolente les malheureuses prisonnières, qui se tenaient les yeux obstinément baissés, l’une sur son livre, l’autre sur sa tapisserie, la troisième sur son frère.

L’aînée de ces femmes était grande, pâle et belle ; celle qui lisait paraissait surtout concentrer son attention sur son livre, quoique, selon toute probabilité, ce fussent ses yeux qui lussent et non son esprit.

Alors, un des municipaux s’approcha d’elle, saisit brutalement le livre qu’elle tenait et le jeta au milieu de la chambre.

La prisonnière allongea la main vers la table, prit un second volume et continua de lire.

Le montagnard fit un geste furieux pour arracher ce second volume, comme il avait fait du premier. Mais, à ce geste, qui fit tressaillir la prisonnière qui brodait près de la fenêtre, la jeune fille s’élança, entoura de ses bras la tête de la lectrice et murmura en pleurant :

— Ah ! pauvre mère ! Puis elle l’embrassa.