Page:Dumas - Le Chevalier de Maison-Rouge, 1853.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
214
LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

CHAPITRE LIV

la salle des morts.



O n se rappelle que le greffier du Palais avait ouvert à Dixmer ses registres d’écrou, et entretenu avec lui des relations que la présence de madame la greffière rendait fort agréables.

Cet homme, comme on le pense bien, entra dans des terreurs effroyables lorsque vint la révélation du complot de Dixmer.

En effet, il ne s’agissait pas moins pour lui que de paraître complice de son faux collègue, et d’être condamné à mort avec Geneviève.

Fouquier-Tinville l’avait appelé devant lui.

On comprend quel mal s’était donné le pauvre homme pour établir son innocence aux yeux de l’accusateur public ; il y avait réussi, grâce aux aveux de Geneviève, qui établissaient son ignorance des projets de son mari. Il y avait réussi, grâce à la fuite de Dixmer ; il y avait réussi surtout, grâce à l’intérêt de Fouquier-Tinville, qui voulait conserver son administration pure de toute tache.

— Citoyen, avait dit le greffier en se jetant à ses genoux, pardonne-moi, je me suis laissé tromper.

— Citoyen, avait répondu l’accusateur public, un employé de la nation qui se laisse tromper dans des temps comme ceux-ci mérite d’être guillotiné.

— Mais on peut être bête, citoyen, reprit le greffier, qui mourait d’envie d’appeler Fouquier-Tinville monseigneur.

— Bête ou non, reprit le rigide accusateur, nul ne doit se laisser endormir dans son amour pour la République. Les oies du Capitole aussi étaient des bêtes, et cependant elles se sont réveillées pour sauver Rome.

Le greffier n’avait rien à répliquer à un pareil argument ; il poussa un gémissement et attendit.

— Je te pardonne, dit Fouquier. Je te défendrai même, car je ne veux pas qu’un de mes employés soit même soupçonné ; mais souviens-toi qu’au moindre mot qui reviendra à mes oreilles, au moindre souvenir de cette affaire, tu y passeras.

Il n’est pas besoin de dire avec quel empressement et quelle sollicitude le greffier s’en alla trouver les journaux, toujours empressés de dire ce qu’ils savent, et quelquefois ce qu’ils ne savent pas, dussent-ils faire tomber la tête de dix hommes.

Il chercha partout Dixmer pour lui recommander le silence ; mais Dixmer avait tout naturellement changé de domicile et il ne put le retrouver.

Geneviève fut amenée sur le fauteuil des accusés ; mais elle avait déjà déclaré, dans l’instruction, que ni elle ni son mari n’avaient aucun complice.

Aussi, comme il remercia des yeux la pauvre femme quand il la vit passer devant lui pour se rendre au tribunal !

Seulement, comme elle venait de passer, et qu’il était rentré un instant dans le greffe pour y prendre un dossier que réclamait le citoyen Fouquier-Tinville, il vit tout à coup apparaître Dixmer, qui s’avança vers lui d’un pas calme et tranquille.

Cette vision le pétrifia.

— Oh ! fit-il, comme s’il eût aperçu un spectre.

— Est-ce que tu ne me reconnais pas ? demanda le nouvel arrivant.

— Si fait. Tu es le citoyen Durand, ou plutôt le citoyen Dixmer.

— C’est cela.

— Mais tu es mort, citoyen ?

— Pas encore, comme tu vois.

— Je veux dire qu’on va t’arrêter.

— Qui veux-tu qui m’arrête ? Personne ne me connaît.

— Mais je te connais, moi, et je n’ai qu’un mot à dire pour te faire guillotiner.

— Et moi, je n’ai qu’à en dire deux pour qu’on te guillotine avec moi.

— C’est abominable, ce que tu dis là !

— Non, c’est logique.

— Mais de quoi s’agit-il ? Voyons, parle ! dépêche-toi, car, moins longtemps nous causerons ensemble, moins nous courrons de danger l’un et l’autre.

— Voici. Ma femme va être condamnée, n’est-ce pas ?

— J’en ai grand’peur ! pauvre femme !

— Eh bien, je désire la voir une dernière fois pour lui dire adieu.

— Où cela ?

— Dans la salle des Morts !

— Tu oseras entrer là ?

— Pourquoi pas ?

— Oh ! fit le greffier comme un homme à qui cette seule pensée fait venir la chair de poule.

— Il doit y avoir un moyen ? continua Dixmer.