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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

— Pourquoi cela ?

— Où vas-tu, d’abord ?

— Je vais chez moi. Justement, je puis rentrer maintenant, je sais ce qu’elle est devenue.

— Tant mieux ; mais tu ne rentreras pas.

— La raison ?

— La raison, la voici : il y a deux heures, les gendarmes sont venus pour t’arrêter.

— Ah ! s’écria Maurice. Eh bien, raison de plus.

— Es-tu fou ? et Geneviève ?

— C’est vrai. Et où allons-nous ?

— Chez moi, pardieu !

— Mais je te perds.

— Raison de plus ; allons, arrive. Et il l’entraîna.


CHAPITRE XLVII

Prêtre et bourreau



E n sortant du tribunal, la reine avait été ramenée à la Conciergerie.

Arrivée dans sa chambre, elle avait pris des ciseaux, avait coupé ses longs et beaux cheveux, devenus plus beaux de l’absence de la poudre, abolie depuis un an ; elle les avait enfermés dans un papier ; puis elle avait écrit sur le papier : À partager entre mon fils et ma fille.

Alors elle s’était assise, ou plutôt elle était tombée sur une chaise, et, brisée de fatigue,— l’interrogatoire avait duré dix-huit heures,— elle s’était endormie.

À sept heures, le bruit du paravent que l’on dérangeait la réveilla en sursaut ; elle se retourna et vit un homme qui lui était complètement inconnu.

— Que me veut-on ? demanda-t-elle.

L’homme s’approcha d’elle, et, la saluant aussi poliment que si elle n’eût pas été reine :

— Je m’appelle Sanson, dit-il.

La reine frissonna légèrement et se leva. Ce nom seul en disait plus qu’un long discours.

— Vous venez de bien bonne heure, monsieur, dit-elle ; ne pourriez-vous pas retarder un peu ?

— Non, madame, répliqua Sanson ; j’ai ordre de venir.

Ces paroles dites, il fit encore un pas vers la reine. Tout dans cet homme, et dans ce moment, était expressif et terrible.

— Ah ! je comprends, dit la prisonnière, vous voulez me couper les cheveux ?

— C’est nécessaire, madame, répondit l’exécuteur.

— Je le savais, monsieur, dit la reine, et j’ai voulu vous épargner cette peine. Mes cheveux sont là, sur cette table.

Sanson suivit la direction de la main de la reine.

— Seulement, continua-t-elle, je voudrais qu’ils fussent remis ce soir à mes enfants.

— Madame, dit Sanson, ce soin ne me regarde pas.

— Cependant, j’avais cru…

— Je n’ai à moi, reprit l’exécuteur, que la dépouille des… personnes… leurs habits, leurs bijoux, et encore lorsqu’elles me les donnent formellement ; autrement tout cela va à la Salpêtrière, et appartient aux pauvres des hôpitaux ; un arrêté du comité de Salut public a réglé les choses ainsi.

— Mais enfin, monsieur, demanda en insistant Marie-Antoinette, puis-je compter que mes cheveux seront remis à mes enfants ?

Sanson resta muet.

— Je me charge de l’essayer, dit Gilbert.

La prisonnière jeta au gendarme un regard d’ineffable reconnaissance.

— Maintenant, dit Sanson, je venais pour vous couper les cheveux ; mais, puisque cette besogne est faite, je puis, si vous le désirez, vous laisser un instant seule.

— Je vous en prie, monsieur, dit la reine ; car j’ai besoin de me recueillir et de prier.

Sanson s’inclina et sortit.

Alors la reine se trouva seule, car Gilbert n’avait fait que passer la tête pour prononcer les paroles que nous avons dites.

Tandis que la condamnée s’agenouillait sur une chaise plus basse que les autres, et qui lui servait de prie-Dieu, une scène non moins terrible que celle que nous venons de raconter se passait dans le presbytère de la petite église Saint-Landry, dans la Cité.