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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

main son bonnet d’ourson et de l’autre son tire-pied, monta devant pour indiquer le chemin à la commission.

Ils arrivèrent à une chambre assez noire, spacieuse et nue, au fond de laquelle, assis sur son lit, se tenait le jeune Louis, dans un état d’immobilité parfaite.

Quand nous avons vu le pauvre enfant fuyant devant la brutale colère de Simon, il y avait encore en lui une espèce de vitalité réagissant contre les indignes traitements du cordonnier du Temple : il fuyait, il criait, il pleurait ; donc, il avait peur ; donc, il souffrait ; donc, il espérait.

Aujourd’hui, crainte et espoir avaient disparu ; sans doute la souffrance existait encore ; mais, si elle existait, l’enfant martyr à qui l’on faisait, d’une façon si cruelle, payer les fautes de ses parents, l’enfant martyr la cachait au plus profond de son cœur et la voilait sous les apparences d’une complète insensibilité.

Il ne leva pas même la tête lorsque les commissaires marchèrent à lui.

Eux, sans autre préambule, prirent des sièges et s’installèrent. L’accusateur public au chevet du lit, Simon au pied, le greffier près de la fenêtre, les gardes nationaux et leur lieutenant sur le côté et un peu dans l’ombre.

Ceux d’entre les assistants qui regardaient le petit prisonnier avec quelque intérêt ou même quelque curiosité, remarquèrent la pâleur de l’enfant, son embonpoint singulier, qui n’était que de la bouffissure, et le fléchissement de ses jambes, dont les articulations commençaient à se tuméfier.

— Cet enfant est bien malade, dit le lieutenant avec une assurance qui fit retourner Fouquier-Tinville, déjà assis et prêt à interroger.

Le petit Capet leva les yeux et chercha dans la pénombre celui qui avait prononcé ces paroles, et il reconnut le même jeune homme qui, une fois déjà, avait, dans la cour du Temple, empêché Simon de le battre. Un rayonnement doux et intelligent circula dans ses prunelles d’un bleu foncé, mais ce fut tout.

— Ah ! ah ! c’est toi, citoyen Lorin, dit Simon appelant ainsi l’attention de Fouquier-Tinville sur l’ami de Maurice.

— Moi-même, citoyen Simon, répliqua Lorin avec son imperturbable aplomb.

Et, comme Lorin, quoique toujours prêt à faire face au danger, n’était point homme à le chercher inutilement, il profita de la circonstance pour saluer Fouquier-Tinville, qui lui rendit poliment son salut.

— Tu fais observer, je crois, citoyen, dit alors l’accusateur public, que l’enfant est malade ; es-tu médecin ?

— J’ai étudié la médecine, au moins, si je ne suis pas docteur.

— Eh bien, que lui trouves-tu ?

— Comme symptôme de maladie ? demanda Lorin.

— Oui.

— Je lui trouve les joues et les yeux bouffis, les mains pâles et maigres, les genoux tuméfiés ; et, si je lui tâtais le pouls, je constaterais, j’en suis sûr, un mouvement de quatre-vingt-cinq à quatre-vingt-dix pulsations à la minute.

L’enfant parut insensible à l’énumération de ses souffrances.

— Et à quoi la science peut-elle attribuer l’état du prisonnier ? demanda l’accusateur public.

Lorin se gratta le bout du nez en murmurant :


Philis veut me faire parler,
Je n’en ai pas la moindre envie.

Puis, tout haut :

— Ma foi, citoyen, répliqua-t-il, je ne connais pas assez le régime du petit Capet pour te répondre… Cependant…

Simon prêtait une oreille attentive, et riait sous cape de voir son ennemi tout près de se compromettre.

— Cependant, continua Lorin, je crois qu’il ne prend pas assez d’exercice.

— Je crois bien, le petit gueux ! dit Simon, il ne veut plus marcher.

L’enfant resta insensible à l’apostrophe du cordonnier.

Fouquier-Tinville se leva, vint à Lorin, et lui parla tout bas.

Personne n’entendit les paroles de l’accusateur public ; mais il était évident que ces paroles avaient la forme de l’interrogation.

— Oh ! oh ! crois-tu cela, citoyen ? C’est bien grave pour une mère…

— En tout cas, nous allons le savoir, dit Fouquier ; Simon prétend le lui avoir entendu dire à lui-même, et s’est engagé à le lui faire avouer.

— Ce serait hideux, dit Lorin ; mais enfin cela est possible : l’Autrichienne n’est pas exempte de péché ; et, à tort ou à raison, cela ne me regarde pas… On en a fait une Messaline ; mais ne pas se contenter de cela et vouloir en faire une Agrippine, cela me parait un peu fort, je l’avoue.

— Voilà ce qui a été rapporté par Simon, dit Fouquier impassible.

— Je ne doute pas que Simon n’ait dit cela… il y a des hommes qu’aucune accusation n’effraye, même les accusations impossibles… Mais ne trouves-tu pas, continua Lorin en regardant fixement Fouquier, ne trouves-tu pas, toi qui es un homme intelligent et probe, toi qui es un homme fort enfin, que demander à un enfant de pareils détails sur celle que les lois les plus naturelles et les plus sacrées de la nature lui ordonnent de respecter, c’est presque insulter à l’humanité tout entière dans la personne de cet enfant ?