Page:Dumas - Le Chevalier de Maison-Rouge, 1853.djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
155
LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

— Eh bien, citoyen Gracchus, d’ici à demain, fais-toi chasser par le concierge Richard.

— Chasser ! Et ma place ?

— Comptes-tu rester guichetier avec cinquante mille francs à toi ?

— Non ; mais, étant guichetier et pauvre, je suis sûr de ne pas être guillotiné.

— Sûr ?

— Ou à peu près ; tandis qu’étant libre et riche…

— Tu cacheras ton argent et tu feras la cour à une tricoteuse, au lieu de la faire à la maîtresse du Puits-de-Noé.

— Eh bien, c’est dit.

— Demain, au cabaret.

— À quelle heure ?

— À six heures du soir.

— Envolez-vous vite, les voilà… Je dis envolez-vous, parce que je présume que vous êtes descendu à travers les voûtes.

— À demain, répéta Théodore en s’enfuyant.

En effet, il était temps ; le bruit des pas et des voix se rapprochait. On voyait déjà dans le souterrain obscur briller la lueur des lumières qui s’approchaient.

Théodore courut à la porte que lui avait montrée l’écrivain dont il avait pris la cahute ; il en fit sauter la serrure avec sa pince, gagna la fenêtre indiquée, l’ouvrit, se laissa glisser dans la rue, et se retrouva sur le pavé de la République.

Mais, avant d’avoir quitté la salle des Pas-Perdus, il put encore entendre le citoyen Gracchus interroger Richard, et celui-ci lui répondre :

— Le citoyen architecte avait parfaitement raison : le souterrain passe sous la chambre de la veuve Capet ; c’était dangereux.

— Je le crois bien ! dit Gracchus, lequel avait la conscience de dire une haute vérité.

Santerre reparut à l’orifice de l’escalier.

— Et tes ouvriers, citoyen architecte ? demanda-t-il à Giraud.

— Avant le jour, ils seront ici, et, séance tenante, la grille sera posée, répondit une voix qui semblait sortir des profondeurs de la terre.

— Et tu auras sauvé la patrie ! dit Santerre, moitié railleur, moitié sérieux.

— Tu ne crois pas dire si juste, citoyen général, murmura Gracchus.


CHAPITRE XXXVIII

L’enfant royal



C ependant le procès de la reine avait commencé à s’instruire, comme on a pu le voir dans le chapitre précédent.

Déjà on laissait entrevoir que, par le sacrifice de cette tête illustre, la haine populaire, grondante depuis si longtemps, serait enfin assouvie.

Les moyens ne manquaient pas pour faire tomber cette tête, et cependant Fouquier-Tinville, l’accusateur mortel, avait résolu de ne pas négliger les nouveaux moyens d’accusation que Simon avait promis de mettre à sa disposition.

Le lendemain du jour où Simon et lui s’étaient rencontrés dans la salle des Pas-Perdus, le bruit des armes vint encore faire tressaillir, dans le Temple, les prisonniers qui avaient continué de l’habiter.

Ces prisonniers étaient madame Élisabeth, madame Royale, et l’enfant qui, après avoir été appelé Majesté au berceau, n’était plus appelé que le petit Louis Capet.

Le général Henriot, avec son panache tricolore, son gros cheval et son grand sabre, entra, suivi de plusieurs gardes nationaux, dans le donjon où languissait l’enfant royal.

À côté du général marchait un greffier de mauvaise mine, chargé d’une écritoire, d’un rouleau de papier, et s’escrimant avec une plume démesurément longue.

Derrière le scribe venait l’accusateur public. Nous avons vu, nous connaissons et nous retrouverons encore plus tard cet homme sec, jaune et froid, dont l’œil sanglant faisait frissonner le farouche Santerre lui-même dans son harnois de guerre.

Quelques gardes nationaux et un lieutenant les suivaient.

Simon, souriant d’un air faux et tenant d’une