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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

— Ah ! mon Dieu ! s’écria le jeune homme, ému de retrouver là encore le trouble et la souffrance. Qu’a-t-elle donc ?

— Vous savez, mon cher, reprit Dixmer, aux maladies des femmes, personne ne connaît rien, et surtout le mari.

Geneviève était renversée sur une espèce de chaise longue. Près d’elle était Morand, qui lui faisait respirer des sels.

— Eh bien ? demanda Dixmer.

— Toujours la même chose, reprit Morand.

— Héloïse ! Héloïse ! murmura la jeune femme à travers ses lèvres blanches et ses dents serrées.

— Héloïse ! répéta Maurice avec étonnement.

— Eh ! mon Dieu, oui, reprit vivement Dixmer, Geneviève a eu le malheur de sortir hier et de voir passer cette malheureuse charrette avec une pauvre fille, nommée Héloïse, que l’on conduisait à la guillotine. Depuis ce moment-là, elle a eu cinq ou six attaques de nerfs, et ne fait que répéter ce nom.

— Ce qui l’a frappée surtout, c’est qu’elle a reconnu dans cette fille la bouquetière qui lui a vendu les œillets que vous savez.

— Certainement que je sais, puisqu’ils ont failli me faire couper le cou.

— Oui, nous avons su tout cela, cher Maurice, et croyez bien que nous avons été on ne peut plus effrayés ; mais Morand était à la séance, et il vous a vu sortir en liberté.

— Silence ! dit Maurice ; la voilà qui parle encore, je crois.

— Oh ! des mots entrecoupés, inintelligibles, reprit Dixmer.

— Maurice ! murmura Geneviève ; ils vont tuer Maurice. À lui ! chevalier, à lui !

Un silence profond succéda à ces paroles.

— Maison-Rouge, murmura encore Geneviève ; Maison-Rouge !

Maurice sentit comme un éclair de soupçon ; mais ce n’était qu’un éclair. D’ailleurs, il était trop ému de la souffrance de Geneviève pour commenter ces quelques paroles.

— Avez-vous appelé un médecin ? demanda-t-il.

— Oh ! ce ne sera rien, reprit Dixmer ; un peu de délire, voilà tout.

Et il serra si violemment le bras de sa femme, que Geneviève revint à elle et ouvrit, en jetant un léger cri, ses yeux qu’elle avait constamment tenus fermés jusque-là.

— Ah ! vous voilà tous, dit-elle, et Maurice avec vous. Oh ! je suis heureuse de vous voir, mon ami ; si vous saviez comme j’ai…

Elle se reprit :

— … Comme nous avons souffert depuis deux jours !

— Oui, dit Maurice, nous voilà tous ; rassurez-vous donc et ne vous faites plus de terreurs pareilles. Il y a surtout un nom, voyez-vous, qu’il faudrait vous déshabituer de prononcer, attendu qu’en ce moment il n’est pas en odeur de sainteté.

— Et lequel ? demanda vivement Geneviève.

— C’est celui du chevalier de Maison-Rouge.

— J’ai nommé le chevalier de Maison-Rouge, moi ? dit Geneviève épouvantée.

— Sans doute, répondit Dixmer avec un rire forcé ; mais, vous comprenez, Maurice, il n’y a rien là d’étonnant, puisqu’on dit publiquement qu’il était complice de la fille Tison, et que c’est lui qui a dirigé la tentative d’enlèvement qui, par bonheur, a échoué hier.

— Je ne dis pas qu’il y a quelque chose d’étonnant à cela, répondit Maurice ; je dis seulement qu’il n’a qu’à se bien cacher.

— Qui ? demanda Dixmer.

— Le chevalier de Maison-Rouge, parbleu ! La Commune le cherche, et ses limiers ont le nez fin.

— Pourvu qu’on l’arrête, dit Morand, avant qu’il accomplisse quelque nouvelle entreprise qui réussira mieux que la dernière.

— En tout cas, dit Maurice, ce ne sera pas en faveur de la reine.

— Et pourquoi cela ? demanda Morand.

— Parce que la reine est désormais à l’abri de ses coups de main.

— Et où est-elle donc ? demanda Dixmer.

— À la Conciergerie, répondit Maurice ; on l’y a transférée cette nuit.

Dixmer, Morand et Geneviève poussèrent un cri que Maurice prit pour une exclamation de surprise.

— Ainsi, vous voyez, continua-t-il, adieu les plans du chevalier de la reine ! La Conciergerie est plus sûre que le Temple.

Morand et Dixmer échangèrent un regard qui échappa à Maurice.

— Ah ! mon Dieu ! s’écria-t-il, voilà encore madame Dixmer qui pâlit.

— Geneviève, dit Dixmer à sa femme, il faut te mettre au lit, mon enfant ; tu souffres.

Maurice comprit qu’on le congédiait ; il baisa la main de Geneviève et sortit.

Morand sortit avec lui et l’accompagna jusqu’à la vieille rue Saint-Jacques. Là, il le quitta pour aller dire quelques mots à une espèce de domestique qui tenait un cheval tout sellé.

Maurice était si préoccupé, qu’il ne demanda pas même à Morand, auquel d’ailleurs il n’avait pas adressé un mot depuis qu’ils étaient sortis ensemble de la maison, qui était cet homme et que faisait là ce cheval.

Il prit la rue des Fossés-Saint-Victor et gagna les quais.

— C’est étrange, se disait-il tout en marchant. Est-ce mon esprit qui s’affaiblit ? sont-ce les événements qui prennent de la gravité ? mais tout m’apparaît grossi comme à travers un microscope.

Et, pour retrouver un peu de calme, Maurice présenta son front à la brise du soir, et s’appuya sur le parapet du pont.