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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

— Ou ce billet ne serait-il qu’un piège ? reprit madame Élisabeth.

— Non, non, dit la reine ; ces caractères m’ont toujours révélé la présence d’un ami mystérieux, mais bien brave et bien fidèle.

— C’est du chevalier ? demanda madame Royale.

— De lui-même, répondit la reine.

Madame Élisabeth joignit les mains.

— Relisons le billet chacune de notre côté tout bas, reprit la reine, afin que, si l’une de nous oubliait une chose, l’autre s’en souvînt.

Et toutes trois relurent des yeux ; mais, comme elles achevaient cette lecture, elles entendirent la porte de leur chambre rouler sur ses gonds. Les deux princesses se retournèrent : la reine seule resta comme elle était ; seulement, par un mouvement presque insensible, elle porta le petit billet à ses cheveux et le glissa dans sa coiffure.

C’était un des municipaux qui ouvrait la porte.

— Que voulez-vous, monsieur ? demandèrent ensemble madame Élisabeth et madame Royale.

— Hum ! dit le municipal, il me semble que vous vous couchez bien tard ce soir…

— Y a-t-il donc, dit la reine en se retournant avec sa dignité ordinaire, un nouvel arrêté de la Commune qui décide à quelle heure je me mettrai au lit ?

— Non, citoyenne, dit le municipal ; mais, si c’est nécessaire, on en fera un.

— En attendant, monsieur, dit Marie-Antoinette, respectez, je ne vous dirai pas la chambre d’une reine, mais celle d’une femme.

— En vérité, grommela le municipal, ces aristocrates parlent toujours comme s’ils étaient quelque chose.

Mais, en attendant, soumis par cette dignité hautaine dans la prospérité, mais que trois ans de souffrance avaient faite calme, il se retira.

Un instant après, la lampe s’éteignit, et, comme d’habitude, les trois femmes se déshabillèrent dans les ténèbres, faisant de l’obscurité un voile à leur pudeur.

Le lendemain, à neuf heures du matin, la reine, après avoir relu, enfermée dans les rideaux de son lit, le billet de la veille, afin de ne s’écarter en rien des instructions qui y étaient portées, après l’avoir déchiré et réduit en morceaux presque impalpables, s’habilla dans ses rideaux, et, réveillant sa sœur, passa chez sa fille.

Un instant après, elle sortit et appela les municipaux de garde.

— Que veux-tu, citoyenne ? demanda l’un d’eux paraissant sur la porte, tandis que l’autre ne se dérangeait pas même de son déjeuner pour répondre à l’appel royal.

— Monsieur, dit Marie-Antoinette, je sors de la chambre de ma fille, et la pauvre enfant est, en vérité, bien malade. Ses jambes sont enflées et douloureuses, car elle fait trop peu d’exercice. Or, vous le savez, monsieur, c’est moi qui l’ai condamnée à cette inaction ; j’étais autorisée à descendre me promener au jardin ; mais, comme il me fallait passer devant la porte de la chambre que mon mari habitait de son vivant, au moment de passer devant cette porte, le cœur m’a failli, je n’ai pas eu la force et je suis remontée, me bornant à la promenade de la terrasse.

« Maintenant cette promenade est insuffisante à la santé de ma pauvre enfant. Je vous prie donc, citoyen municipal, de réclamer en mon nom, auprès du général Santerre, l’usage de cette liberté qui m’avait été accordée ; je vous en serai reconnaissante.

La reine avait prononcé ces mots avec un accent si doux et si digne à la fois, elle avait si bien évité toute qualification qui pouvait blesser la pruderie républicaine de son interlocuteur, que celui-ci, qui s’était présenté à elle couvert, comme c’était l’habitude de la plupart de ces hommes, souleva peu à peu son bonnet rouge de dessus sa tête, et, lorsqu’elle eut achevé, la salua en disant :

— Soyez tranquille, madame, on demandera au citoyen général la permission que vous désirez.

Puis, en se retirant, comme pour se convaincre lui-même qu’il cédait à l’équité et non à la faiblesse :

— C’est juste, répéta-t-il ; au bout du compte, c’est juste.

— Qu’est-ce qui est juste ? demanda l’autre municipal.

— Que cette femme promène sa fille qui est malade.

— Après ?… que demande-t-elle ?

— Elle demande à descendre et à se promener une heure dans le jardin.

— Bah ! dit l’autre, qu’elle demande à aller à pied du Temple à la place de la Révolution, ça la promènera.

La reine entendit ces mots et pâlit ; mais elle puisa dans ces mots un nouveau courage pour le grand événement qui se préparait.

Le municipal acheva son déjeuner et descendit. De son côté, la reine demanda à faire le sien dans la chambre de sa fille, ce qui lui fut accordé.

Madame Royale, pour confirmer le bruit de sa maladie, resta couchée, et madame Élisabeth et la reine demeurèrent près de son lit.

À onze heures, Santerre arriva. Son arrivée fut, comme à l’ordinaire, annoncée par les tambours qui battirent aux champs, et par l’entrée du nouveau bataillon et des nouveaux municipaux qui venaient relever ceux dont la garde finissait.

Quand Santerre eut inspecté le bataillon sortant et le bataillon entrant, lorsqu’il eut fait parader son lourd cheval aux membres trapus dans la cour du Temple, il s’arrêta un instant : c’était le moment où ceux qui avaient à lui parler lui adressaient leurs ré-