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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE

saura au moins toute la vérité sur ceux qui trahissent.

— Ainsi tu persistes à dénoncer au nom de la femme Tison ?

— Je dénoncerai moi-même ce soir aux Cordeliers, et toi-même avec les autres, citoyen président, si tu ne veux pas décréter d’arrestation le traître Maurice.

— Eh bien, soit, dit le président, qui, selon l’habitude de ce malheureux temps, tremblait devant celui qui criait le plus haut. Eh bien, soit, on l’arrêtera.

Pendant que cette décision était rendue contre lui, Maurice était retourné au Temple où l’attendait un billet ainsi conçu :

« Notre garde étant violemment interrompue, je ne pourrai, selon toute probabilité, te revoir que demain matin : viens déjeuner avec moi ; tu me mettras au courant, en déjeunant, des trames et des conspirations découvertes par maître Simon.

« On prétend que Simon dépose
« Que tout le mal vient d’un œillet ;
« De mon côté, sur ce méfait,
« Je vais interroger la rose.

Et demain, à mon tour, je te dirai ce qu’Arthémise m’aura répondu.

« Ton ami,
« Lorin. »

« Rien de nouveau, répondit Maurice ; dors en paix cette nuit et déjeune sans moi demain, attendu que, vu les incidents de la journée, je ne sortirai probablement pas avant midi.

« Je voudrais être le zéphyr pour avoir le droit d’envoyer un baiser à la rose dont tu parles.

« Je te permets de siffler ma prose comme je siffle tes vers.

« Ton ami,
« Maurice.

« P. S. Je crois, au reste, que la conspiration n’était qu’une fausse alarme. »

Lorin était, en effet, sorti vers onze heures, avant tout son bataillon, grâce à la motion brutale du cordonnier.

Il s’était consolé de cette humiliation avec un quatrain, et, ainsi qu’il le disait dans ce quatrain, il était allé chez Arthémise.

Arthémise fut enchantée de voir arriver Lorin. Le temps était magnifique, comme nous l’avons dit ; elle proposa, le long des quais, une promenade qui fut acceptée.

Ils avaient suivi le port au charbon tout en causant politique, Lorin racontant son expulsion du Temple et cherchant à deviner quelles circonstances avaient pu la provoquer, quand, en arrivant à la hauteur de la rue des Barres, ils aperçurent une bouquetière qui, comme eux, remontait la rive droite de la Seine.

— Ah ! citoyen Lorin, dit Arthémise, tu vas, je l’espère bien, me donner un bouquet.

— Comment donc ! dit Lorin, deux si la chose vous est agréable.

Et tous deux doublèrent le pas pour joindre la bouquetière, qui elle-même suivait son chemin d’un pas fort rapide.

En arrivant au pont Marie, la jeune fille s’arrêta et, se penchant au-dessus du parapet, vida sa corbeille dans la rivière.

Les fleurs, séparées, tourbillonnèrent un instant dans l’air. Les bouquets, entraînés par leur pesanteur, tombèrent plus rapidement ; puis bouquets et fleurs, surnageant à la surface, suivirent le cours de l’eau.

— Tiens ! dit Arthémise en regardant la bouquetière qui faisait un si étrange commerce, on dirait… mais oui… mais non… mais si… Ah ! que c’est bizarre !

La bouquetière mit un doigt sur ses lèvres comme pour prier Arthémise de garder le silence et disparut.

— Qu’est-ce donc ? dit Lorin ; connaissez-vous cette mortelle, déesse ?

— Non. J’avais cru d’abord… Mais certainement je me suis trompée.

— Cependant elle vous a fait signe, insista Lorin.

— Pourquoi donc est-elle bouquetière ce matin ? se demanda Arthémise en s’interrogeant elle-même.

— Vous avouez donc que vous la connaissez, Arthémise ? demanda Lorin.

— Oui, répondit Arthémise, c’est une bouquetière à laquelle j’achète quelquefois.

— Dans tous les cas, dit Lorin, cette bouquetière a de singulières façons de débiter sa marchandise.

Et tous deux, après avoir regardé une dernière fois les fleurs, qui avaient déjà atteint le pont de bois et reçu une nouvelle impulsion du bras de la rivière qui passe sous ses arches, continuèrent leur route vers la Rapée, où ils comptaient dîner en tête à tête.

L’incident n’eut point de suite pour le moment. Seulement, comme il était étrange et présentait un certain caractère mystérieux, il se grava dans l’imagination poétique de Lorin.

Cependant la dénonciation de la femme Tison, dénonciation portée contre Maurice et Lorin, soulevait un grand bruit au club des Jacobins, et Maurice reçut au Temple l’avis de la Commune que sa liberté était menacée par l’indignation publique. C’était une invitation au jeune municipal de se cacher s’il était coupable. Mais, fort de sa conscience,