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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE

— Bien, dit Santerre ; tâche seulement qu’on ne la voie pas entrer au donjon ; ce serait un mauvais exemple ; d’ailleurs, je m’en fie bien à toi.

Santerre serra de nouveau la main de Maurice, fit de la tête un geste amical et protecteur à Geneviève et alla vaquer à ses autres fonctions.

Après bon nombre d’évolutions de grenadiers et de chasseurs, après quelques manœuvres de canon dont on pensait que les sourds retentissements jetaient aux environs une intimidation salutaire, Maurice reprit le bras de Geneviève, et, suivi par Morand, s’avança vers le poste à la porte duquel Lorin s’égosillait, en commandant la manœuvre à son bataillon.

— Bon ! s’écria-t-il, voilà Maurice ; peste ! avec une femme qui me paraît un peu agréable. Est-ce que le sournois voudrait faire concurrence à ma déesse Raison ? S’il en était ainsi, pauvre Arthémise !

— Eh bien, citoyen adjudant ? dit le capitaine.

— Ah ! c’est juste ; attention ! cria Lorin. Par file à gauche, gauche…. Bonjour, Maurice. Pas accéléré… arche !

Les tambours roulèrent ; les compagnies allèrent prendre leur poste, et, quand chacune fut au sien, Lorin accourut. Les premiers compliments s’échangèrent.

Maurice présenta Lorin à Geneviève et à Morand. Puis les explications commencèrent.

— Oui, oui, je comprends, dit Lorin ; tu veux que le citoyen et la citoyenne puissent entrer au donjon : c’est chose facile ; je vais faire placer les factionnaires et leur dire qu’ils peuvent te laisser passer avec ta société.

Dix minutes après, Geneviève et Morand entraient à la suite des trois municipaux et prenaient place derrière le vitrage.


CHAPITRE XXI

L’œillet rouge



L a reine venait de se lever seulement. Malade depuis deux ou trois jours, elle restait au lit plus longtemps que d’habitude. Seulement, ayant appris de sa sœur que le soleil s’était levé, magnifique, elle avait fait un effort, et avait, pour faire prendre l’air à sa fille, demandé à se promener sur la terrasse, ce qui lui avait été accordé sans difficulté.

Et puis une autre raison la déterminait. Une fois, une seule, il est vrai, elle avait du haut de la tour aperçu le dauphin dans le jardin. Mais, au premier geste qu’avaient échangé le fils et la mère, Simon était intervenu et avait fait rentrer l’enfant.

N’importe, elle l’avait aperçu, et c’était beaucoup. Il est vrai que le pauvre petit prisonnier était bien pâle et bien changé. Puis il était vêtu, comme un enfant du peuple, d’une carmagnole et d’un gros pantalon. Mais on lui avait laissé ses beaux cheveux blonds bouclés, qui lui faisaient une auréole que Dieu a sans doute voulu que l’enfant martyr gardât au ciel.

Si elle pouvait le revoir une fois encore seulement, quelle fête pour ce cœur de mère !

Puis enfin il y avait encore autre chose.

— Ma sœur, lui avait dit madame Élisabeth, vous savez que nous avons trouvé dans le corridor un fétu de paille dressé dans l’angle du mur. Dans la langue de nos signaux, cela veut dire de faire attention autour de nous et qu’un ami s’approche.

— C’est vrai, avait répondu la reine, qui, regardant sa sœur et sa fille en pitié, s’encourageait elle-même à ne point désespérer de leur salut.

Les exigences du service étant accomplies, Maurice était alors d’autant plus le maître, dans le donjon du Temple, que le hasard l’avait désigné pour la garde du jour, en faisant des municipaux Agricola et Mercevault les veilleurs de nuit.

Les municipaux sortants étaient partis, après avoir laissé leur procès-verbal au conseil du Temple.

— Eh bien, citoyen municipal, dit la femme Tison en venant saluer Maurice, vous amenez donc de la société pour voir nos pigeons ? Il n’y a que moi qui suis condamnée à ne plus voir ma pauvre Sophie.

— Ce sont des amis à moi, dit Maurice, qui n’ont jamais vu la femme Capet.