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LA REINE MARGOT.

visage pâle et au cou blanc tout souillé de sang, apparut sur le balcon.

— Besme ! cria le duc ; enfin c’est toi ! Eh bien ? eh bien ?

— Foilà ! foilà ! répondit froidement l’Allemand, qui, se baissant, se releva presque aussitôt en paraissant soulever un poids considérable.

— Mais les autres, demanda impatiemment le duc, les autres, où sont-ils ?

— Les autres, ils achèfent les autres.

— Et toi, toi ! qu’as-tu fait ?

— Moi, fous allez foir ; regulez-vous un beu.

Le duc fit un pas en arrière.

En ce moment on put distinguer l’objet que Besme attirait à lui d’un si puissant effort.

C’était le cadavre d’un vieillard.

Il le souleva au-dessus du balcon, le balança un instant dans le vide, et le jeta aux pieds de son maître.

Le bruit sourd de la chute, les flots de sang qui jaillirent du corps et diaprèrent au loin le pavé, frappèrent d’épouvante jusqu’au duc lui-même ; mais ce sentiment dura peu, et la curiosité fit que chacun s’avança de quelques pas, et que la lueur d’un flambeau vint trembler sur la victime.

On distingua alors une barbe blanche, un visage vénérable, et des mains raidies par la mort.

— L’amiral ! s’écrièrent ensemble vingt voix qui ensemble se turent aussitôt.

— Oui, l’amiral. C’est bien lui, dit le duc en se rapprochant du cadavre pour le contempler avec une joie silencieuse.

— L’amiral ! l’amiral ! répétèrent à demi voix tous les témoins de cette terrible scène, se serrant les uns contre les autres, et se rapprochant timidement de ce grand vieillard abattu.

— Ah ! te voilà donc, Gaspard ! dit le duc de Guise triomphant ; tu as fait assassiner mon père, je le venge !

Et il osa poser le pied sur la poitrine du héros protestant.

Mais aussitôt les yeux du mourant s’ouvrirent avec effort, sa main sanglante et mutilée se crispa une dernière fois, et l’amiral, sans sortir de son immobilité, dit au sacrilége d’une voix sépulcrale :

— Henri de Guise, un jour aussi tu sentiras sur ta poi-