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LA REINE MARGOT.

Le duc François tressaillit à ces mots, et regarda Henri comme pour provoquer une plus large explication ; mais Henri s’était plus avancé qu’il n’avait coutume de le faire, et il garda le silence.

— Que voulez-vous dire, Henri ? demanda le duc François, visiblement contrarié que son beau-frère, en ne continuant pas, le laissât entamer ces éclaircissements.

— Je dis, mon frère, reprit Henri, que ces hommes si bien armés, qui semblent avoir reçu pour tâche de ne point nous perdre de vue, ont tout l’aspect de gardes qui prétendraient empêcher deux personnes de s’échapper.

— S’échapper, pourquoi ? comment ? demanda d’Alençon en jouant admirablement la surprise et la naïveté.

— Vous avez là un magnifique genêt, François, dit Henri poursuivant sa pensée tout en ayant l’air de changer de conversation ; je suis sûr qu’il ferait sept lieues en une heure, et vingt lieues d’ici à midi. Il fait beau ; cela invite, sur ma parole, à baisser la main. Voyez donc le joli chemin de traverse. Est-ce qu’il ne vous tente pas, François ? Quant à moi, l’éperon me brûle.

François ne répondit rien. Seulement il rougit et pâlit successivement ; puis il tendit l’oreille comme s’il écoutait la chasse.

— La nouvelle de Pologne fait son effet, dit Henri, et mon cher beau-frère a son plan. Il voudrait bien que je me sauvasse, mais je ne me sauverai pas seul.

Il achevait à peine cette réflexion, quand plusieurs nouveaux convertis, revenus à la cour depuis deux ou trois mois, arrivèrent au petit galop et saluèrent les deux princes avec un sourire des plus engageants.

Le duc d’Alençon, provoqué par les ouvertures de Henri, n’avait qu’un mot à dire, qu’un geste à faire, et il était évident que trente ou quarante cavaliers, réunis en ce moment autour d’eux comme pour faire opposition à la troupe de M. de Guise favoriseraient sa fuite ; mais il détourna la tête, et portant son cor à sa bouche, il sonna le ralliement.

Cependant les nouveaux venus, comme s’ils eussent cru que l’hésitation du duc d’Alençon venait du voisinage et de la présence des Guisards, s’étaient peu à peu glissés entre eux et les deux princes, et s’étaient échelonnés avec une habileté stratégique qui annonçait l’habitude des dispositions