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LA REINE MARGOT.

— Gillonne, cria Marguerite lorsque la porte se fut refermée sur le dernier, Gillonne, fais que personne ne nous interrompe.

— Oui, dit la duchesse, car nous avons à parler d’affaires tout à fait graves.

Et, prenant un siège, elle s’assit sans façon, certaine que personne ne viendrait déranger cette intimité convenue entre elle et la reine de Navarre, prenant sa meilleure place du feu et du soleil.

— Eh bien, dit Marguerite avec un sourire, notre fameux massacreur, qu’en faisons-nous ?

— Ma chère reine, dit la duchesse, c’est sur mon âme un être mythologique. Il est incomparable en esprit et ne tarit jamais. Il a des saillies qui feraient pâmer de rire un saint dans sa châsse. Au demeurant, c’est le plus furieux païen qui ait jamais été cousu dans la peau d’un catholique ! j’en raffole. Et toi, que fais-tu de ton Apollo ?

— Hélas ! fit Marguerite avec un soupir.

— Oh ! oh ! que cet hélas m’effraye, chère reine ! est-il donc trop respectueux ou trop sentimental, ce gentil La Mole ! Ce serait, je suis forcée de l’avouer, tout le contraire de son ami Coconnas.

— Mais non, il a ses moments, dit Marguerite, et cet hélas ne se rapporte qu’à moi.

— Que veut-il dire alors ?

— Il veut dire, chère duchesse, que j’ai une peur affreuse de l’aimer tout de bon.

— Vraiment ?

— Foi de Marguerite !

— Oh ! tant mieux ! la joyeuse vie que nous allons mener alors ! s’écria Henriette : aimer un peu, c’était mon rêve ; aimer beaucoup, c’était le tien. C’est si doux, chère et docte reine, de se reposer l’esprit par le cœur, n’est-ce pas ? et d’avoir après le délire le sourire. Ah ! Marguerite, j’ai le pressentiment que nous allons passer une bonne année.

— Crois-tu ? dit la reine ; moi, tout au contraire, je ne sais pas comment cela se fait, je vois les choses à travers un crêpe. Toute cette politique me préoccupe affreusement. À propos, sache donc si ton Annibal est aussi dévoué à mon frère qu’il paraît l’être. Informe-toi de cela, c’est important.

— Lui, dévoué à quelqu’un ou à quelque chose ! On voit