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LA REINE MARGOT.

Dariole, étendue dans un grand fauteuil, dormait près du lit de sa maîtresse.

Ce lit était entièrement fermé par les rideaux.

La respiration de la jeune femme était si légère, qu’un instant Catherine crut qu’elle ne respirait plus.

Enfin elle entendit un léger souffle, et, avec une joie maligne, elle vint lever le rideau, afin de constater par elle-même l’effet du terrible poison, tressaillant d’avance à l’aspect de cette livide pâleur ou de cette dévorante pourpre d’une fièvre mortelle qu’elle espérait ; mais, au lieu de tout cela, calme, les yeux doucement clos par leurs blanches paupières, la bouche rose et entr’ouverte, sa joue moite doucement appuyée sur un de ses bras gracieusement arrondi, tandis que l’autre, frais et nacré, s’allongeait sur le damas cramoisi qui lui servait de couverture, la belle jeune femme dormait presque rieuse encore ; car sans doute quelque songe charmant faisait éclore sur ses lèvres le sourire, et sur sa joue ce coloris d’un bien-être que rien ne trouble.

Catherine ne put s’empêcher de pousser un cri de surprise qui réveilla pour un instant Dariole.

La reine mère se jeta derrière les rideaux du lit.

Dariole ouvrit les yeux ; mais, accablée de sommeil, sans même chercher dans son esprit engourdi la cause de son réveil, la jeune fille laissa retomber sa lourde paupière et se rendormit.

Catherine alors sortit de dessous son rideau, et, tournant son regard vers les autres points de l’appartement, elle vit sur une petite table un flacon de vin d’Espagne, des fruits, des pâtes sucrées et deux verres. Henri avait dû venir souper chez la baronne, qui visiblement se portait aussi bien que lui.

Aussitôt Catherine, marchant à sa toilette, y prit la petite boîte d’argent au tiers vide. C’était exactement la même, ou tout au moins la pareille de celle qu’elle avait fait remettre à Charlotte. Elle en enleva une parcelle de la grosseur d’une perle sur le bout d’une aiguille d’or, rentra chez elle, la présenta au petit singe que lui avait donné Henri le soir même. L’animal, affriandé par l’odeur aromatique, la dévora avidement, et, s’arrondissant dans sa corbeille, se rendormit. Catherine attendit un quart d’heure.