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LA REINE MARGOT.

— Nous nous sommes trompées toutes deux, Marguerite, car le Piémontais est demeuré en arrière, et M. de La Mole l’a suivi.

— Mordi ! reprit Marguerite en riant, il va donc se passer quelque chose. Ma foi, j’avoue que je ne serais pas fâchée d’avoir à revenir sur son compte.

Marguerite alors se retourna et vit s’exécuter effectivement de la part de La Mole la manœuvre que nous avons dite.

Ce fut alors au tour des deux princesses à quitter la file : l’occasion était des plus favorables ; on tournait devant un sentier bordé de larges haies qui remontait, et, en remontant, passait à trente pas du gibet. Madame de Nevers dit un mot à l’oreille de son capitaine, Marguerite fit un signe à Gillonne, et les quatre personnes s’en allèrent par ce chemin de traverse s’embusquer derrière le buisson le plus proche du lieu où allait se passer la scène dont ils paraissaient désirer être spectateurs. Il y avait trente pas environ, comme nous l’avons dit, de cet endroit à celui où Coconnas, ravi, en extase, gesticulait devant M. l’amiral.

Marguerite mit pied à terre, madame de Nevers et Gillonne en firent autant ; le capitaine descendit à son tour, et réunit dans ses mains les brides des quatre chevaux. Un gazon frais et touffu offrait aux trois femmes un siège comme en demandent souvent et inutilement les princesses.

Une éclaircie leur permettait de ne pas perdre le moindre détail.

La Mole avait décrit son cercle. Il vint au pas se placer derrière Coconnas, et, allongeant la main, il lui frappa sur l’épaule.

Le Piémontais se retourna.

— Oh ! dit-il, ce n’était donc pas un rêve ! et vous vivez encore !

— Oui, Monsieur, répondit La Mole, oui, je vis encore. Ce n’est pas votre faute, mais enfin je vis.

— Mordi ! je vous reconnais bien, reprit Coconnas, malgré votre mine pâle. Vous étiez plus rouge que cela la dernière fois que nous nous sommes vus.

— Et moi, dit La Mole, je vous reconnais aussi malgré cette ligne jaune qui vous coupe le visage ; vous étiez plus pâle que cela lorsque je vous la fis.