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LA REINE MARGOT.

— Aussi, continua Catherine, le roi de Navarre te préfère-t-il de beaucoup ma fille, et ce n’était pas ce que tu voulais, je crois, ni ce dont nous étions convenues.

— Hélas, Madame ! dit Charlotte éclatant cette fois en sanglots sans qu’elle eût besoin de se faire aucune violence ; si cela est ainsi, je suis bien malheureuse.

— Cela est, dit Catherine en enfonçant comme un double poignard le double rayon de ses yeux dans le cœur de madame de Sauve.

— Mais qui peut vous le faire croire ? demanda Charlotte.

— Descends chez la reine de Navarre, pazza ! et tu y trouveras ton amant.

— Oh ! fit madame de Sauve.

Catherine haussa les épaules.

— Es-tu jalouse, par hasard ? demanda la reine mère.

— Moi ? dit madame de Sauve rappelant à elle toute sa force prête à l’abandonner.

— Oui, toi ! je serais curieuse de voir une jalousie de Française.

— Mais, dit madame de Sauve, comment Votre Majesté veut-elle que je sois jalouse autrement que d’amour-propre ? je n’aime le roi de Navarre qu’autant qu’il le faut pour le service de Votre Majesté !

Catherine la regarda un moment avec des yeux rêveurs.

— Ce que tu me dis là peut, à tout prendre, être vrai, murmura-t-elle.

— Votre Majesté lit dans mon cœur.

— Et ce cœur m’est tout dévoué ?

— Ordonnez, Madame, et vous en jugerez.

— Eh bien ! puisque tu te sacrifies à mon service, Carlotta, il faut, pour mon service toujours, que tu sois très-éprise du roi de Navarre, et très-jalouse surtout, jalouse comme une Italienne.

— Mais, Madame, demanda Charlotte, de quelle façon une Italienne est-elle jalouse ?

— Je te le dirai, reprit Catherine ; et, après avoir fait deux ou trois mouvements de tête du haut en bas, elle sortit silencieusement et lentement, comme elle était entrée.

Charlotte, troublée par le clair regard de ces yeux dilatés comme ceux du chat et de la panthère, sans que cette dilatation lui fît rien perdre de sa profondeur, la laissa partir