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LA REINE MARGOT.

— Et c’est le fils de Henri II qui reconnaît pour son roi un duc de Lorraine !…

— Vous êtes dans un mauvais jour, Marguerite, et vous ne comprenez rien.

— J’avoue que je cherche en vain à lire dans votre pensée.

— Ma sœur, vous êtes d’aussi bonne maison que madame la princesse de Porcian, et Guise n’est pas plus immortel que le roi de Navarre ; eh bien ! Marguerite, supposez maintenant trois choses, toutes trois possibles : la première, c’est que Monsieur soit élu roi de Pologne ; la seconde, c’est que vous m’aimiez comme je vous aime ; eh bien ! je suis roi de France, et vous… et vous… reine des catholiques.

Marguerite cacha sa tête dans ses mains, éblouie de la profondeur des vues de cet adolescent que personne à la cour n’osait appeler une intelligence.

— Mais, demanda-t-elle après un moment de silence, vous n’êtes donc pas jaloux de M. le duc de Guise comme vous l’êtes du roi de Navarre ?

— Ce qui est fait est fait, dit le duc d’Alençon d’une voix sourde ; et si j’ai eu à être jaloux du duc de Guise, eh bien ! je l’ai été.

— Il n’y a qu’une seule chose qui puisse empêcher ce beau plan de réussir.

— Laquelle ?

— C’est que je n’aime plus le duc de Guise.

— Et qui donc aimez-vous, alors ?

— Personne.

Le duc d’Alençon regarda Marguerite avec l’étonnement d’un homme qui, à son tour, ne comprend plus, et sortit de l’appartement en poussant un soupir et en pressant de sa main glacée son front prêt à se fendre.

Marguerite demeura seule et pensive. La situation commençait à se dessiner claire et précise à ses yeux ; le roi avait laissé faire la Saint-Barthélémy, la reine Catherine et le duc de Guise l’avaient faite. Le duc de Guise et le duc d’Alençon allaient se réunir pour en tirer le meilleur parti possible. La mort du roi de Navarre était une conséquence naturelle de cette grande catastrophe. Le roi de Navarre mort, on s’emparait de son royaume. Marguerite restait donc veuve, sans trône, sans puissance, et n’ayant d’autre perspective qu’un cloître où elle n’aurait pas même la triste