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LA REINE MARGOT.

ou la reine mère elle-même. On n’eût point dit d’ailleurs, en le voyant, qu’il se passât quelque chose d’insolite par la ville, ni au Louvre ; il était vêtu avec son élégance ordinaire. Ses habits et son linge exhalaient ces parfums que méprisait Charles IX, mais dont le duc d’Anjou et lui faisaient un si continuel usage. Seulement, un œil exercé comme l’était celui de Marguerite pouvait remarquer que, malgré sa pâleur plus grande que d’habitude, et malgré le léger tremblement qui agitait l’extrémité de ses mains, aussi belles et aussi soignées que des mains de femme, il renfermait au fond de son cœur un sentiment joyeux.

Son entrée fut ce qu’elle avait l’habitude d’être. Il s’approcha de sa sœur pour l’embrasser. Mais, au lieu de lui tendre ses joues, comme elle eût fait au roi Charles ou au duc d’Anjou, Marguerite s’inclina et lui offrit le front.

Le duc d’Alençon poussa un soupir, et posa ses lèvres blêmissantes sur ce front que lui présentait Marguerite.

Alors, s’asseyant, il se mit à raconter à sa sœur les nouvelles sanglantes de la nuit : la mort lente et terrible de l’amiral ; la mort instantanée de Téligny, qui, percé d’une balle, rendit à l’instant même le dernier soupir. Il s’arrêta, s’appesantit, se complut sur les détails sanglants de cette nuit avec cet amour du sang particulier à lui et à ses deux frères. Marguerite le laissa dire.

Enfin, ayant tout dit, il se tut.

— Ce n’est pas pour me faire ce récit seulement que vous êtes venu me rendre visite, n’est-ce pas, mon frère ? demanda Marguerite.

Le duc d’Alençon sourit.

— Vous avez encore autre chose à me dire ?

— Non, répondit le duc, j’attends.

— Qu’attendez-vous ?

— Ne m’avez-vous pas dit, chère Marguerite bien-aimée, reprit le duc en rapprochant son fauteuil de celui de sa sœur, que ce mariage avec le roi de Navarre se faisait contre votre gré ?

— Oui, sans doute. Je ne connaissais point le prince de Béarn lorsqu’on me l’a proposé pour époux.

— Et depuis que vous le connaissez, ne m’avez-vous pas affirmé que vous n’éprouviez aucun amour pour lui !

— Je vous l’ai dit, il est vrai.